Cousin: Minos 313a-315a — Tentativa de definição de « lei »

[313a] SOCRATE.

Qu’est-ce que la loi ?

L’AMI DE SOCRATE.

De quelle loi veux-tu parler ?

SOCRATE.

Comment ! Les lois diffèrent-elles entre elles en tant que lois ? Fais attention à ma question. C’est comme si je te demandais : qu’est-ce que l’or, et que tu voulusses savoir de quel or j’entends parler : je crois que tu aurais tort. Il n’y a pas de différence entre l’or et l’or [313b] en tant qu’or, entre la pierre et la pierre en tant que pierre ; telle loi ne diffère pas davantage de telle autre loi ; elles sont toutes la même chose ; chacune d’elles est loi comme les autres, ni plus ni moins. Ce que je te demande, c’est en général qu’est-ce que la loi ? Si tu le sais, réponds-moi.

L’AMI.

La loi peut-elle être autre chose, Socrate, que ce qui est légitime ?

SOCRATE.

La parole, à ton avis, est-elle donc ce qu’on dit, la vue ce qu’on voit, l’ouïe ce qu’on entend, ou la parole [313c] et ce qu’on dit, la vue et ce que l’on voit, l’ouïe et ce qu’on entend, la loi et ce qui est réglé par la loi sont-ils des choses différentes ? Quelle est ton opinion ?

L’AMI.

C’est tout autre chose, je le vois maintenant.

SOCRATE.

La loi n’est donc pas ce qui est légitime ?

L’AMI.

Non, à ce qu’il me semble.

SOCRATE.

Qu’est-ce donc que la loi ? Voici comment nous pouvons examiner cette question. Si, à l’occasion de ce que nous avons dit, quelqu’un nous tenait ce langage : Vous prétendez que c’est la vue [314a] qui fait voir ce qu’on voit, qu’est-ce donc que la vue ? Nous répondrions que c’est un sens qui, au moyeu des yeux, nous enseigne ce que c’est que les couleurs. S’il continuait ainsi : C’est par l’ouïe qu’on entend tout ce qui s’entend ; qu’est-ce donc que l’ouïe ? Nous répondrions que c’est un sens qui, au moyen des oreilles, nous enseigne ce que c’est que les sons. Enfin, si le même interlocuteur nous disait : C’est la loi qui règle ce qui est légitime, qu’est-ce que la loi ? [314b] Est-ce un sens ou un enseignement, comme une science qui nous enseigne ce que nous apprenons ; ou n’est-ce pas une sorte de découverte comme toutes celles que nous faisons, comme la médecine qui nous découvre ce qui est salutaire et ce qui est nuisible, comme la divination qui, selon les devins, nous découvre les pensées des dieux ? Car l’art n’est jamais qu’une découverte ; n’est-il pas vrai ?

L’AMI.

Sans aucun doute.

SOCRATE.

Laquelle de ces idées choisirons-nous pour définir la loi ?

L’AMI.

Il me semble que la loi, c’est ce qui est institué, ce qui est décrété. En effet, que peut-elle être autre chose ? Je croirais donc qu’on peut répondre [314c] à ta question, qu’en général la loi est ce qui est institué par l’État.

SOCRATE.

Il paraît que tu t’arrêtes à cette idée : ainsi la loi est une institution de l’État.

L’AMI.

C’est mon sentiment.

SOCRATE.

Peut-être as-tu raison., Mais voici qui nous éclairera mieux encore. Il y a des hommes que tu appelles sages?

L’AMI.

Certainement.

SOCRATE.

Or, les sages sont sages par la sagesse.

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Et les justes sont justes par la justice ?

L’AMI.

Sans aucun doute.

SOCRATE.

Ce qui fait qu’on agit légalement, c’est la légalité.

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Et ce qui fait [314d] qu’on agit illégalement, n’est-ce pas l’illégalité ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Ceux qui agissent légalement sont-ils justes ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Au contraire, ceux qui agissent illégalement sont injustes.

L’AMI.

Oui, injustes.

SOCRATE.

Mais ce sont des choses belles par excellence que la justice et la loi.

L’AMI.

Certainement.

SOCRATE.

Et des choses tout à fait laides que l’injustice et l’illégalité.

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Les unes ne sont-elles pas le salut des États et de tout ce qui existe, les autres leur perte et leur ruine ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

De sorte qu’il faut regarder la loi comme une belle chose et la chercher comme un bien.

L’AMI.

Je ne puis le nier.

SOCRATE.

Or, nous avons défini la loi une institution de l’état.

[314e] L’AMI.

C’est ainsi que nous l’avons définie.

SOCRATE.

Et quoi ! N’y a-t-il pas de bonnes et de mauvaises institutions ?

L’AMI.

Il y en a certainement.

SOCRATE.

Et la loi n’est pas une mauvaise institution.

L’AMI.

Non.

SOCRATE.

Il n’est donc pas exact de dire simplement que la loi est une institution de l’État.

L’AMI.

Je ne le crois pas.

SOCRATE.

On ne concevrait pas que la loi fût une mauvaise institution.

L’AMI.

Non, certes.

SOCRATE.

Mais, moi aussi, je crois que la loi est une institution ; et si ce n’en est pas une mauvaise, ne faut-il pas de toute nécessité que c’en soit une bonne, puisque c’est une institution ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Mais qu’est-ce qu’une bonne institution ? N’est-ce pas celle qui est fondée sur la vérité ?

[315a] L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Or, une institution fondée sur la vérité, c’est une découverte de la vérité.

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

La loi est donc la découverte de la vérité ?

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