Cousin: Minos 315a-318e — Objeções às definições de « lei »

L’AMI.

Mais si la loi est la découverte de la vérité, pourquoi donc, Socrate, n’avons-nous pas toujours les mêmes lois dans les mêmes circonstances, quand nous avons découvert la vérité ?

SOCRATE.

La loi n’en est pas moins la découverte de la vérité. S’il est vrai, comme il semble, que les hommes n’ont pas toujours les mêmes lois [315b] dans les mêmes circonstances, c’est qu’ils ne peuvent pas toujours découvrir cette vérité que demande la loi. Mais ce point établi, examinons si nous pouvons reconnaître pour constant que nous n’avons jamais eu que les mêmes lois, ou si, au contraire, nos lois ont varié à différentes époques : recherchons encore si tous les peuples ont les mêmes lois, ou si chacun d’eux en a de particulières.

L’AMI.

Quant à cela, Socrate, il est aisé de reconnaître que le même peuple ne conserve pas toujours la même législation, et que les différents peuples ont aussi des lois différentes. Ainsi, parmi nous il n’y a pas de loi qui prescrive les sacrifices humains : que dis-je ? Ce serait une impiété ! Mais chez les Carthaginois, ces sacrifices, loin d’être désavoués par les lois, [315c] passent pour des actes agréables aux dieux, à ce point que quelques-uns d’entre eux immolent leurs propres enfants à Saturne, comme on te l’a raconté[1259]. Et ce n’est pas seulement chez des Barbares qu’on trouve des lois si différentes des nôtres : à Lycée[1260], quels sacrifices ne font pas les successeurs d’Athamas ! et cependant ce sont des Grecs. Sans sortir de notre patrie, ne sais-tu pas quelles lois on observait naguère aux funérailles ? On égorgeait les victimes et on faisait venir les femmes chargées de recueillir les ossements avant même que le cadavre ne fût enlevé. [315d] A une époque encore plus reculée, on enterrait les morts dans leurs propres maisons)[1261] : tous ces usages sont abolis ; et il y aurait mille exemples semblables à rapporter, car le champ est vaste et les preuves abondent quand il s’agit de montrer que ni les individus ni les sociétés ne sont pas très constants dans leurs opinions.

SOCRATE.

Il n’y aurait rien de surprenant, mon excellent ami, que tu eusses parfaitement raison ; pour moi, je n’en sais rien. Mais si tu te complais à développer tes idées dans de longues dissertations, et que de mon côté j’imite ton exemple, [315e] il n’y a pas d’apparence que nous tombions jamais d’accord. Si, au contraire, nous réunissons nos efforts sur le même point, nous nous entendrons plus aisément. Veux-tu donc poursuivre notre recherche en m’interrogeant, ou préfères-tu me répondre ?

L’AMI.

Je le veux bien, Socrate, et je te répondrai sur ce que tu voudras.

SOCRATE.

Eh bien donc ! penses-tu que le juste est injuste et que l’injuste est juste, ou bien que le juste est juste, et l’injuste injuste ?

L’AMI.

Je crois que le juste est juste et l’injuste [316a] injuste.

SOCRATE.

Et tout le monde croit cela comme nous ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Même chez les Perses ?

L’AMI..

Même chez les Perses.

SOCRATE.

Et toujours ?

L’AMI.

Toujours.

SOCRATE.

Pense-t-on parmi nous que ce qui pèse plus est plus lourd, et ce qui pèse moins plus léger ? Ou bien croit-on le contraire ?

L’AMI.

Non, vraiment. Ce qui pèse plus est plus lourd, et ce qui pèse moins plus léger.

SOCRATE.

Même à Carthage et à Lycée ?

L’AMI.

C’est la même chose.

SOCRATE.

Partout on convient [316b] que le beau est beau et le laid laid ; nulle part que le laid est beau, et le beau laid.

L’AMI.

Assurément.

SOCRATE.

Ne pense-t-on pas enfin dans tous les pays, comme ici, que ce qui est est ce qu’il est et non ce qu’il n’est pas ?

L’AMI.

Je le crois.

SOCRATE.

Celui qui ne connaît pas ce qui est ne connaît donc pas ce qui est légitime.

L’AMI.

Ainsi, Socrate, d’après ce que tu dis, ce qui est légitime l’est toujours, l’est pour nous et pour les autres. Mais quand je vois [316c] qu’incessamment nous édifions et renversons des lois, je ne saurais en être persuadé.

SOCRATE.

C’est peut-être parce que tu ne réfléchis pas qu’à travers toutes ces transformations la loi reste la même. Mais suis avec attention mon raisonnement : as-tu jamais vu quelque ouvrage sur la guérison des malades ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Sais-tu à quel art rapporter un tel écrit ?

L’AMI.

A la médecine, je pense.

SOCRATE.

Et tu donnes le nom de médecins : à ceux qui sont habiles dans cet art.

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

[316d] Or, les hommes habiles ont-ils les mêmes règles sur les mêmes choses, ou bien ont-ils des règles différentes ?

L’AMI.

Ils ont les mêmes règles, à ce que je pense.

SOCRATE.

N’y a-t-il que les Grecs qui s’accordent avec les Grecs sur les choses qu’ils savent, ou bien les Barbares sont-ils là-dessus d’accord et avec eux-mêmes et avec les Grecs ?

L’AMI.

Il est de toute nécessité que Grecs et Barbares soient tous du même avis sur les choses qu’ils savent.

SOCRATE.

C’est bien répondu. Et en est-il toujours ainsi ?

L’AMI.

Oui, toujours.

SOCRATE.

Or, n’est-il pas vrai que les médecins écrivent sur la manière de guérir ce [316e] qu’ils croient la vérité ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Ces écrits:des médecins sont donc véritablement les lois de la médecine ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Les écrits sur l’agriculture sont-ils aussi les lois de l’agriculture?

L’AMI.

Assurément !

SOCRATE.

Qui sont ceux qui donnent les préceptes et les règles du jardinage ?

L’AMI.

Les jardiniers.

SOCRATE.

Ces règles sont donc les lois du jardinage ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Ces lois sont tracées par ceux qui savent diriger la culture des jardins.

L’AMI.

Sans doute.

SOCRATE.

Mais ce sont les jardiniers qui le savent ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Qui fait les écrits et les règles sur l’art de préparer les mets ?

L’AMI.

Les cuisiniers.

SOCRATE.

Ce sont donc là les lois de la cuisine ?

L’AMI.

Oui, les lois de la cuisine.

SOCRATE.

Elles émanent probablement [317a] de ceux qui savent faire la cuisine ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Les cuisiniers, dit-on, le savent ?

L’AMI.

Certainement, ils le savent.

SOCRATE.

Mais qui fait les écrits et les règles sur l’administration de l’État ? Ceux qui savent gouverner l’État, sans doute ?

L’AMI.

Je le pense.

SOCRATE.

Mais qui le sait, sinon ceux qui traitent les affaires publiques et les rois ?

L’AMI.

Aucun autre.

SOCRATE.

Ces écrits politiques qu’on appelle lois sont donc des écrits de rois et de gens [317b] de bien.

L’AMI.

C’est vrai.

SOCRATE.

Ceux qui savent n’ont pas deux manières d’écrire sur les mêmes choses.

L’AMI.

Non.

SOCRATE.

Et ils n’établiront pas dans les mêmes circonstances, tantôt une règle, tantôt une autre ?

L’AMI.

Non, certes.

SOCRATE.

Et si nous voyons que quelques-uns agissent avec cette inconséquence, dirons-nous qu’ils sont habiles ou qu’ils sont ignorants ?

L’AMI.

Ignorants.

SOCRATE.

Nous dirons donc que tout ce qui est bien est légitime en toutes choses, médecine, cuisine, jardinage.

[317c] L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Nous dirons que tout ce qui est mal est illégitime.

L’AMI.

Il le faut.

SOCRATE.

Ainsi dans les écrits sur le juste et l’injuste, et en général, sur l’organisation et le gouvernement de l’État, le bien est une loi vraiment royale, mais jamais le mal ; le mal peut paraître une loi aux ignorants, mais il ne l’est pas s’il est toujours illégitime.

L’AMI.

Oui.

[317d] SOCRATE.

Nous convenons donc avec raison que la loi est la découverte de la vérité.

L’AMI.

Il me semble.

SOCRATE.

Poursuivons nos recherches : qui est-ce qui sait ensemencer la terre ?

L’AMI.

L’agriculteur.

SOCRATE.

Il sait donc distribuer à chaque sol la semence qui lui convient. ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

L’agriculteur est donc un bon législateur pour les semences ; ses lois et ses règles sont bonnes ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Oui est-ce qui sait régler les sons pour la mélodie, et mettre ensemble ceux qui se conviennent ? De qui viennent enfin les vraies lois en ce genre?

L’AMI.

Des [317e] joueurs de flûte et des joueurs de lyre.

SOCRATE.

Le meilleur législateur, c’est donc ici le meilleur joueur de flûte ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Qui est-ce qui règle le mieux la nourriture des hommes ? N’est-ce pas celui qui sait le mieux, ce qui leur convient ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Les règles et les lois qu’il trace sont donc les meilleures ; et celui qui sait le mieux régler ces matières en est le meilleur législateur.

L’AMI.

Nécessairement.

SOCRATE.

Qui est-ce ?

[318a] L’AMI.

Celui qui préside aux exercices du corps.

SOCRATE.

Pour ce qui regarde le corps, c’est donc lui qui sait le mieux gouverner le grand troupeau humain ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Et qui est le plus habile à diriger un troupeau de brebis ? Comment l’appelle-t-on ?

L’AMI.

Le berger.

SOCRATE.

C’est donc le berger qui fait les meilleures lois pour les brebis ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Et le conducteur de boeufs pour les bœufs ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Mais de qui seront donc les meilleures lois pour les âmes humaines ? Ne sera-ce pas du roi ? Qu’en dis-tu ?

L’AMI.

Je suis de ton avis.

[318b] SOCRATE.

Tu as raison. Saurais-tu me dire quel est le joueur de flûte qui, parmi les anciens, s’est montré le plus habile à tracer les règles de son art ? Peut-être l’ignores-tu : si tu veux, je te le rappellerai.

L’AMI.

Bien volontiers.

SOCRATE.

N’est-ce pas, à ce qu’on dit, Marsyas et son élève chéri Olympos de Phrygie ?

L’AMI.

Tu as raison.

SOCRATE.

Leurs compositions sont divines. Ce sont les seules qui touchent le coeur et nous révèlent le besoin que nous avons du secours des dieux ; les seules enfin [318c] qui subsistent encore aujourd’hui comme étant dignes des dieux.

L’AMI.

C’est vrai.

SOCRATE.

Et parmi les anciens rois, quel est celui qu’on regarde comme le plus habile législateur, celui dont on u conservé les institutions comme divines ?

L’AMI.

Je ne sais.

SOCRATE.

Ne sais-tu pas quel est le peuple grec qui a les plus anciennes lois ?

L’AMI.

Tu veux parler des Lacédémoniens et de Lycurgue, leur législateur ?

SOCRATE.

Ces lois n’ont guère plus de trois cents et quelques années d’existence ; mais sais-tu [318d] d’où viennent les meilleures de ces lois ?

L’AMI.

On dit qu’elles viennent de Crète.

SOCRATE.

C’est donc la Crète qui possède les plus anciennes lois de toute la Grèce ?

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Et connais-tu quels furent les meilleurs de leurs rois ? Minos et Rhadamante, fils de Jupiter et d’Europe, auteurs des lois dont nous parlons ?

L’AMI.

Je sais bien, Socrate, que Rhadamante passe pour avoir été juste ; mais pour Minos, on assure que c’était un homme farouche, cruel et injuste.

SOCRATE.

Tu me contes-là, mon cher, une des fables et des tragédies d’Athènes.

[318e] L’AMI.

Comment ! N’est-ce pas ce qu’on a dit de Minos ?

SOCRATE.

Ni Homère ni Hésiode au moins ! Et certes ils méritent plus de confiance que tous les poètes tragiques sur la foi desquels tu parles.

L’AMI.

Mais que disent-ils donc de Minos ?