Cousin: Minos 318e-321d — A verdade sobre Minos

SOCRATE.

Je veux te l’apprendre pour que tu ne commettes plus d’impiété, comme tant d’autres. Car, après les offenses directes envers les dieux en actions ou en paroles, il n’y a rien de plus impie, rien qu’on doive éviter avec plus de soin que d’offenser les hommes divins. En général, quand on veut (319a) blâmer ou louer un homme, il faut bien prendre garde de ne se pas tromper. Aussi faut-il s’étudier à distinguer les bons et les méchants ; car Dieu s’offense quanti on blâme ceux qui lui ressemblent, ou quand on loue ceux qui ne lui ressemblent point ; et c’est l’homme de bien qui lui ressemble. Ne va pas croire que des pierres, du bois, des oiseaux, des serpents, puissent être saints ; cette gloire n’est réservée qu’à l’homme ; et de tous les hommes, le plus saint, c’est le bon, et le plus impie, c’est le méchant. Maintenant, quant à Minos, je veux t’apprendre comment Homère et Hésiode (319b) l’ont célébré, afin qu’étant homme et fils d’homme tu n’offenses plus en paroles un héros, fils de Jupiter. Homère, en parlant de la Crète, vante ses nombreux habitants et ses quatre-vingt-dix villes :

« Entre elles (dit-il) est Cnosse, la grande viile, où Minos Régna neuf ans dans le commerce du grand Jupiter(1262). »

(319c) Voilà quel éloge Homère fait en peu de mots de Minos ; et cet éloge est tel que jamais ce poète n’en a donné de pareil à aucun de ses héros. Dans cet endroit, comme dans beaucoup d’autres, Homère nous montre en Jupiter un véritable maître dans l’art d’enseigner la sagesse, et nous fait admirer cet art. Car il assure que pendant neuf ans Minos entendit Jupiter, et alla s’instruire auprès de lui comme chez un sophiste. Et Homère n’ayant attribué cette fortune d’être instruit par Jupiter lui-même à aucun autre héros qu’à Minos, (319d) c’est un éloge bien digne d’exciter notre attention. Et dans la descente aux enfers de l’Odyssée, ce n’est pas Rhadamante, c’est Minos qu’il représente(1263) jugeant un sceptre d’or à la main ; et non seulement il ne fait pas de Rhadamante un juge des enfers, mais nulle part il ne l’admet à l’entretien de Jupiter. Toutes ces raisons me font dire que Minos est, de tous les héros d’Homère, celui qu’il a le plus célébré. En effet, être fils de Jupiter, et le seul que ce dieu ait instruit lui-même, n’est-ce pas le comble de l’éloge ? En effet ce vers :

« Il régna neuf ans dans le commerce du grand Jupiter »

(319e) signifie que Minos reçut des leçons de Jupiter ; car ; un commerce, c’est un entretien, et commercer avec quelqu’un,:c’est l’entendre. Minos fréquenta donc pendant neuf ans l’antre de Jupiter, pour s’instruire et enseigner ensuite aux autres ce que le Dieu lui avait appris. Il y en a qui, par ces mots « Le commerce de Jupiter », veulent entendre une société de table et de jeux. Mais la meilleure preuve qu’ils se trompent, (320a) c’est que, Grecs et Barbares, tous les peuples se livrent aux plaisirs de la table et à tous ces divertissements où le vin tient tant de place, tous, excepté les Crétois et les Lacédémoniens, disciples des Crétois. En Crète, une loi défend de s’exercer à boire jusqu’à l’ivresse ; et il est certain que Minos n’imposait à ses concitoyens comme une loi que ce qu’il regardait comme bien, (320b) car il n’était pas de ces hommes sans pudeur qui prescrivent aux autres autre chose que ce qu’ils font. Cette familiarité avec Jupiter consistait, comme je l’ai dit, dans des entretiens dont le but était l’enseignement de la sagesse. Minos donna donc à ses concitoyens ces lois qui firent dans tous les temps le bonheur de la Crète et qui font celui de Lacédémone depuis qu’elle les observe comme des préceptes divins. Quant à Rhadamante, c’était un homme vertueux, puisque ce fut un disciple (320c) de Minos. Il apprit de lui non pas l’art royal, tout entier, mais la partie inférieure de cet art qui sert de ministre à l’autre, et qui consiste à siéger dans les tribunaux. C’est ce qui l’a fait nommer L’excellent juge. Minos l’établit comme gardien des lois dans l’intérieur de la ville, et il confia la même charge à Talos pour les autres parties de la Crète. Celui-ci, en effet, parcourait trois fois par an les bourgs de la Crète pour y surveiller l’exécution des lois. Il les portait partout avec lui gravées sur des tables d’airain, ce qui l’a fait surnommer d’Airain(1264). Hésiode raconte à peu près (320d) les mêmes choses de Minos ; en le nommant, il dit que c’est le plus véritablement roi qui ait paru entré les rois mortels.

« Il régna sur un grand nombre de peuples,

« Le sceptre de Jupiter à la main ; avec ce sceptre il gouvernait les États(1265). »

Par le sceptre de Jupiter le poète n’entend pas autre chose que l’art que Minos apprit de Jupiter, et à l’aide duquel il gouverna la Crète.

L’AMI.

D’où vient donc, Socrate, cette tradition si généralement répandue (320e) que Minos était un homme farouche et cruel?

SOCRATE.

Cela vient, mon cher ami, de ce que, si tu es sage, tu dois bien prendre garde, toi et tous ceux qui ont quelque soin de leur gloire, d’avoir un poète quel qu’il soit pour ennemi. Car les poètes ont une grande influence sur l’opinion, quand ils distribuent aux hommes le blâme ou l’éloge : et Minos a commis une faute grave en faisant la guerre à une ville comme la nôtre, remplie de gens habiles dans tous les arts et surtout de poètes (321a) et d’auteurs tragiques. L’origine de la tragédie, chez nous, remonte très haut, non seulement, comme on le croit généralement, à Thespis et Phrynichus(1266) ; mais, si tu veux y faire attention, tu en trouveras des traces dans des temps bien plus reculés. La tragédie est de tous les poèmes celui qui plaît le plus au peuple et touche le mieux les cœurs. En produisant Minos sur notre scène, nous nous sommes vengés de ces tributs qu’il nous forçait de lui payer. Minos a donc fait une faute en s’attirant notre haine, et voilà, pour te répondre, d’où vient (321b) sa mauvaise réputation. Mais une preuve évidente qu’il était réellement vertueux, juste, et, comme nous l’avons déjà dit, excellent législateur, c’est que ses lois sont restées inébranlables, parce qu’il avait découvert les véritables principes du gouvernement des États.

L’AMI.

Je me rends à tes raisons, Socrate.

SOCRATE.

Si ce que j’ai dit est vrai, ne crois-tu pas que les Crétois, concitoyens de Minos et de Rhadamante, sont les peuples qui ont les plus anciennes lois ?

L’AMI.

Je le crois.

SOCRATE.

Ce sont donc là parmi les anciens de bons législateurs, des guides, (321c) des pasteurs d’hommes, comme Homère appelle le bon chef d’armée.

L’AMI.

Oui.

SOCRATE.

Voyons ; réponds-moi au nom de Jupiter qui préside à l’amitié : si on demandait quels moyens un bon législateur du corps emploierait pour le régler, nous pourrions en peu de mots lui répondre avec raison qu’il prescrirait des aliments et de l’exercice, les uns pour nourrir le corps, l’autre pour le fortifier.

L’AMI.

Oui.

(321d) SOCRATE.

Si l’on nous demandait maintenant quelles sont les meilleures règles que prescrirait un bon législateur de l’âme pour la perfectionner, pourrions-nous faire une réponse qui ne nous forçât point à rougir de nous et de notre âge ?

L’AMI.

Je ne saurais le dire.

SOCRATE.

Mais c’est une honte pour nos âmes qu’elles ignorent en quoi consiste leur bien et leur mal, tandis qu’elles le distinguent si bien quand il s’agit du corps et de toute autre chose.