Cousin: Les Rivaux 135a-137a — A filosofia não consiste em uma competência

Quand je vis qu’ils désespéraient de trouver ce que nous cherchions, je pris un autre chemin. Je leur dis :

— Quelles sciences établissons-nous que doit apprendre un philosophe ? car nous sommes convenus qu’il ne doit pas les apprendre toutes, ni même un très grand nombre.

[135b] Le savant, prenant la parole, dit que les belles, les plus convenables à apprendre au philosophe étaient celles qui lui devaient faire le plus d’honneur ; et que rien ne pouvait lui en faire davantage que de paraître entendu dans tous les arts, ou du moins dans la plupart et dans les plus considérés ; qu’ainsi, il fallait qu’un philosophe eût appris tous les arts dignes d’un homme libre, ceux qui dépendent de l’intelligence, et non ceux qui dépendent de la main.

— Fort bien, repris-je, c’est comme en architecture. [135c] Tu auras ici un très bon maçon pour cinq ou six mines au plus ; mais un architecte, tu ne l’aurais pas pour dix mille drachmes ; car il y en a très peu dans toute la Grèce. N’est-ce pas là ce que tu veux dire?

— Oui, me répondit-il.

Alors je lui demandai s’il ne lui paraissait pas impossible qu’un homme apprît ainsi deux arts, bien loin qu’il pût en apprendre un grand nombre, el qui fussent difficiles.

Sur quoi :

— Ne t’imagine pas, Socrate, me dit-il, que je veuille dire qu’il faut qu’un philosophe sache ces arts [135d] aussi parfaitement que ceux qui les pratiquent ; mais comme il convient à un homme libre, à un homme instruit, pour entendre mieux que le commun des hommes ce que disent les maîtres, et pouvoir donner lui-même un avis ; pour qu’enfin sur tout ce qui se dit ou se fait à propos de ces arts, il se distingue par son goût et ses lumières.

Et moi, doutant encore de ce qu’il voulait dire : [135e]

— Vois, je te prie, lui dis-je, si j’entre bien dans l’idée que tu as du philosophe ; tu veux que le philosophe soit auprès des artistes ce qu’un pentathle est auprès d’un coureur ou d’un lutteur. Vaincu par chaque athlète dans l’exercice qui lui est propre, le pentathle ne tient que le second rang ; tandis qu’il est au-dessus de tous les autres athlètes en général. Voilà peut-être l’effet que, selon toi, la philosophie produit sur ceux qui s’attachent à elle ; [136a] ils sont dans chaque art au-dessous des maîtres, mais ils l’emportent sur tous les autres hommes ; de sorte qu’à le prendre ainsi, un philosophe est en toute chose un homme de second rang. Tel est, je crois, l’idée que tu veux donner du philosophe.

— Socrate, me dit-il, tu as admirablement compris ma pensée, en comparant le philosophe avec le pentathle ; le philosophe est véritablement un homme qui ne s’attache à rien servilement, et qui ne travaille à aucune chose, de manière que pour porter l’une à sa perfection, il néglige toutes les autres, [136b] comme font les artistes ; le philosophe s’applique à toutes ensemble avec mesure.

Après cette réponse, comme je souhaitais savoir nettement ce qu’il voulait dire, je lui demandai s’il croyait que les gens habiles fussent utiles ou inutiles.

— Utiles, assurément, Socrate, me répondit-il.

— Et si les habiles sont utiles, les malhabiles sont inutiles?

Il en tomba d’accord.

— Mais les philosophes sont-ils utiles, ou ne le sont-ils pas?

— [136c] Non-seulement utiles, mais les plus utiles des hommes.

— Voyons donc si tu dis vrai, repris-je, et comment il se peut faire que soient si utiles des hommes qui ne sont qu’au second rang ; car il est clair que le philosophe est inférieur à chaque artiste en particulier.

Il en convint.

— Oh ! voyons un peu, repris-je, dis-moi, si tu étais malade, ou que tu eusses quelque ami qui le fût et dont tu fusses fort en peine, pour rétablir ta santé ou celle de ton ami, appellerais-tu le philosophe, cet habile homme de second ordre, ou ferais-tu venir le médecin?

— [136d] Pour ma part, je les ferais venir tous les deux, me répondit-il.

— Ah ! ne me dis pas cela, repris-je, il faut opter : lequel appellerais-tu le plus tôt et de préférence?

— Si tu le prends ainsi, me dit-il, il n’y a personne qui balançât et ne fît venir plus tôt et de préférence le médecin. Et si tu étais dans un vaisseau battu de la tempête, à qui t’abandonnerais-tu, toi et ce que tu as avec toi, au philosophe ou au pilote?

— Au pilote, sans contredit.

— Et dans toute occasion, tant qu’on aura l’homme de la chose, le philosophe ne sera pas fort utile?

— Il me le semble, répondit-il.

— [136e] Et par conséquent, repris-je, le philosophe est un homme très inutile ; car dans chaque art nous avons des hommes habiles, et nous sommes tombés d’accord qu’il n’y a que les habiles qui soient utiles, et que les autres sont inutiles?

Il fut forcé d’en convenir.

— Oserai-je encore te demander quelque chose, lui dis-je, et n’y aura-t-il point de l’impolitesse à te faire tant de questions?

— Demande-moi tout ce qu’il te plaira, me répondit-il.

— Je ne veux que convenir de nouveau de [137a] tout ce que nous avons dit. Il me semble que nous sommes convenus d’un côté, que la philosophie est une belle chose ; qu’il y a des philosophes ; que le philosophe est habile ; que les gens habiles sont utiles, et les malhabiles inutiles : et de l’autre côté, nous sommes également tombés d’accord que les philosophes sont inutiles, tant qu’on a des maîtres dans chaque art ; et que l’on en a toujours. Ne sommes-nous pas convenus de cela?

— Mais oui, me répondit-il.

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