Henri Joly (1985:21-23) – a invocação filosófica: os deuses e as essências
C’est par une interpellation divine assez semblable et par une sorte de captatio dei que s’entament souvent les recherches platoniciennes. Il y a d’abord la caution apollinienne et delphique 1) que Socrate invoque fréquemment, ainsi que la force démonique d’empêchement et d’arrêt 2) qui joue en lui ; or si cette caution est invoquée et si cette force interdit, c’est par référence à ces puissances nominales qui reconstituent, entre les dieux et les hommes, l’espace archaïque du discours religieux. Le modèle socratique, en imposant à Platon l’ancienne figure du Theios Anèr 3), avait dû lui signifier, avec toute la force d’une présence à la fois divine et humaine, que la vérité n’est pas simplement ni prosaïquement l’affaire des hommes, mais qu’elle vient aux hommes par les dieux et exige tout un cérémonial de religiosité.
Quelques traits marquants de cette « religiosité » socratique se retrouvent dans les procédés platoniciens de l’invocation, de l’euphémisme et de la palinodie. Sans vouloir recenser les innombrables invocations aux dieux qui parsèment la langue philosophique comme elles devaient émailler le parler courant, on est obligé de remarquer que c’est une commune structure d’invocation religieuse qui commande toute la thématique philosophique de dialogues aussi différents que le Banquet, le Phèdre, le Philèbe, le Timée ou les Lois. C’est ainsi que, dès l’ouverture du Banquet et au moment de fixer le sujet de la conversation, Eryximaque lui-même fait remarquer, à propos d’Eros, que « l’on a bien négligé un si grand dieu » (Banq., 176c) ; il faut, par conséquent, « lui porter une offrande et lui être agréable », « fêter le dieu » (Ibid., 177c). De là toutes sortes de formules à l’éloge du « grand dieu (Ibid., 178a et 189 d). Mais il s’agit là surtout de procédés rhétoriques : « personnification » mythique et « affabulation » littéraire. La véritable divinité de l’Eros n’apparaît que lorsque Socrate, faisant retour philosophique au sujet, s’insurge contre un amour, qui n’est plus qu’un mot, pour revenir à la puissance du nom et du dieu 4). Toute la différence entre « l’éloge apparent « et « le véritable éloge 5) vient en effet de la distance qui sépare la mythologie 6) rhétorique et la théologie philosophique, le nominalisme littéraire et la dénomination religieuse, la banalité des termes et le sérieux d’une vérité resacralisée.
Ne nous y trompons pas. Platon, malgré les apparences, ne revient pas, en invoquant la divinité de l’Eros à quelque fonds religieux primitif non plus qu’à des divinités anciennes. On sait qu’Eros dans le Panthéon grec, était à peine une divinité ; analogue à l’Héra de Samos, « représentée par un morceau de bois », il était symbolisé à Thespiès « par une pierre brute » et simplement honoré à Parion 7). En revenant ainsi des mots, qui ne sont plus que des mots, aux noms anciens et à l’antique pratique de la dénomination invocative, Platon cherche à restituer aux mots un contenu perdu ; détour archaïque 8) nécessaire pour assigner ensuite à la chose en soi, to kalon, un contenu eidétique sans précédent, celui de la beauté neutralisée. Ainsi s’explique que la dialectique ascendante, qui doit conduire à l’essence du beau, soit précédée d’une hiérologie, qui interdit le blasphème, et de toute une hiérophanie, qui apparente la recherche aux mystères religieux. Eros préside donc ici, tout comme dans le Phèdre 9), à la recherche du beau. C’est également sous la tutelle théologique d’Aphrodite que se fait, dans le Philèbe, la recherche sur le plaisir 10) et sous celle de Zeus, dans les Lois, l’enquête sur les constitutions, législations et juridictions 11). Mais ce langage, qui nous parle de divinités et puise à d’anciennes tournures religieuses, s’adjoint aussi un autre discours, qui traite des essences et les soumet à la catégorie de la neutralité.