antiguidade:platao:banquete:dacier-grou-banquet-185e-188e

Dacier et Grou: Le Banquet 185e-188e — Discurso de Erixímaco

Alors Eryximaque s'exprima ainsi :

«Pausanias a très bien commencé son discours ; mais la fin ne me paraissant pas suffisamment développée, je crois devoir la compléter. J'approuve fort la distinction qu'il a faite des deux amours ; mais je crois avoir découvert par mon art, la médecine, que l'amour ne réside pas seulement dans l'âme des hommes où il a pour objet la beauté, mais qu'il a bien d'autres objets, qu'il se rencontre dans bien d'autres choses, dans les corps de tous les animaux, dans les productions de la terre, en un mot, dans tous les êtres ; et que la grandeur et les merveilles du dieu éclatent en tout, dans les choses divines comme dans les choses humaines. Je prendrai dans la médecine mon premier exemple, afin d'honorer mon art.

La nature corporelle contient les deux amours. Car les parties du corps qui sont saines et celles qui sont malades constituent nécessairement des choses dissemblables, et le dissemblable aime le dissemblable. L'amour qui réside dans un corps sain est autre que celui qui réside dans un corps malade ; et la maxime que Pausanias vient d'établir, qu'il est beau d'accorder ses faveurs à un ami vertueux, et honteux de se rendre à celui qui est animé d'une passion déréglée, cette maxime est applicable au corps : il est beau et même nécessaire de céder à ce qu'il y a de bon et de sain dans chaque tempérament, et c'est en cela que consiste la médecine ; au contraire, il est honteux de complaire à ce qu'il y a de dépravé et de malade ; et il faut même le combattre, si l'on veut être un habile médecin. Car, pour le dire en peu de mots, la médecine est la science de l'amour dans les corps, par rapport à la réplétion et à l'évacuation ; et le médecin qui sait le mieux discerner en cela l'amour réglé d'avec le vicieux doit être estimé le plus habile ; et celui qui dispose tellement des inclinations du corps, qu'il peut les changer selon le besoin, introduire l'amour là où il n'existe pas et où il est nécessaire, et le retrancher là où il est vicieux, celui-là est un excellent praticien : car il faut qu'il sache établir l'amitié entre les éléments les plus ennemis et leur inspirer un amour mutuel. Or, les éléments les plus ennemis, ce sont les plus contraires, comme le froid et le chaud, le sec et l'humide, l'amer et le doux, et les autres de la même espèce. C'est pour avoir trouvé le moyen de mettre l'amour et la concorde entre ces contraires qu'Esculape, le chef de notre famille, a, comme le disent les poètes, et comme je le crois moi-même, inventé la médecine. J'ose donc assurer que l'amour préside à la médecine, ainsi qu'à la gymnastique et à l'agriculture. vec la moindre attention, on reconnaîtra de même sa présence dans la musique ; et c'est ce qu'Héraclite a peut-être voulu dire, quoiqu'il se soit mal expliqué. L'unité, dit-il, qui s'oppose à elle-même s'accorde avec elle-même : elle produit, par exemple, l'harmonie d'un arc ou d'une lyre. C'est une grande absurdité de dire que l'harmonie est une opposition, ou qu'elle consiste en des éléments opposés ; mais apparemment Héraclite entendait que c'est d'éléments d'abord opposés, comme le grave et l'aigu, et ensuite mis d'accord, que l'art musical tire l'harmonie. En effet, l'harmonie n'est pas possible tant que le grave et l'aigu restent opposés ; car l'harmonie est une consonnance, la consonnance un accord, et il ne peut y avoir d'accord entre des choses opposées tant qu'elles demeurent opposées : ainsi les choses opposées qui ne s'accordent pas ne produisent point d'harmonie. C'est encore de cette manière que les longues et les brèves, qui sont opposées entre elles, composent le rythme lorsqu'elles sont accordées. Et ici c'est la musique, comme plus haut c'est la médecine, qui produit l'accord en établissant l'amour et la concorde entre les contraires. La musique est donc la science de l'amour relativement au rhythme et à l'harmonie. Il n'est pas difficile de reconnaître la présence de l'amour dans la constitution même du rhythme et de l'harmonie ; là ne se trouvent pas deux amours : mais lorsqu'il s'agit de mettre le rythme et l'harmonie en rapport avec les hommes, soit en inventant, ce qui s'appelle composition musicale, soit en se servant à propos des airs et des mesures déjà inventés, ce qui s'appelle éducation, il faut alors une grande attention et un artiste habile. C'est ici le lieu d'appliquer la maxime établie plus haut : qu'il faut complaire aux hommes modérés et à ceux qui sont en voie de le devenir, et encourager leur amour, l'amour légitime et céleste, celui de la muse Uranie. Mais pour celui de Polymnie, qui est l'amour vulgaire, on ne doit le favoriser qu'avec une grande réserve, en sorte que l'agrément qu'il procure ne puisse jamais porter au déréglement. La même circonspection est nécessaire dans notre art pour régler l'usage des plaisirs de la table dans une si juste mesure qu'on puisse en jouir sans nuire à la santé. Nous devons donc distinguer soigneusement ces deux amours, dans la musique, dans la médecine et dans toutes les choses divines et humaines, puisqu'il n'y en a aucune où ils ne se rencontrent. Ils se trouvent aussi dans la constitution des saisons qui composent l'année ; car toutes les fois que les éléments dont je parlais tout à l'heure, le froid, le chaud, l'humide et le sec, contractent les uns pour les autres un amour réglé, et composent une harmonie juste et tempérée, l'année devient fertile et salutaire aux hommes, aux plantes et à tous les animaux, sans leur nuire en rien. Mais lorsque c'est l'amour intempérant qui prévaut dans la constitution des saisons, il détruit et ravage presque tout ; il engendre la peste et toutes sortes de maladies qui attaquent les animaux et les plantes : les gelées, la grêle, la nielle proviennent de cet amour désordonné des éléments. La science de l'amour dans les mouvements des astres et les saisons de l'année s'appelle astronomie. De plus, les sacrifices, l'emploi de la divination, c'est-à-dire toutes les communications des hommes avec les dieux, n'ont pour but que d'entretenir ou de guérir l'amour ; car toute notre impiété vient de ce que nous recherchons et honorons dans toutes nos actions, non pas le meilleur amour, mais le pire, vis-à-vis des vivants, des morts et des dieux. Le propre de la divination est de surveiller et d'entretenir ces deux amours. La divination est donc l'ouvrière de l'amitié qui existe entre les dieux et les hommes, parce qu'elle sait tout ce qu'il y a de saint ou d'impie dans les inclinations humaines. Ainsi il est vrai de dire, en général, que l'amour est puissant, et même que sa puissance est universelle ; mais c'est quand il s'applique au bien et qu'il est réglé par la justice et la tempérance, tant à notre égard qu'à l'égard es dieux, qu'il manifeste toute sa puissance et ns procure une félicité parfaite, nous faisant vivre en paix les uns avec les autres, et nous conciliant la bienveillance des dieux, dont la nature est si relevée au-dessus de la nôtre. J'omets peut-être beaucoup de choses dans cet éloge de l'amour, mais ce n'est pas volontairement.

/home/mccastro/public_html/platonismo/data/pages/antiguidade/platao/banquete/dacier-grou-banquet-185e-188e.txt · Last modified: by 127.0.0.1