Disons maintenant pourquoi nous avons commencé par ces considérations. C’est pour savoir en quel sens on parle d’être en acte dans les intelligibles ; s’ils sont seulement en acte, ou bien si chacun d’eux est un acte ; si tous à la fois forment un acte, et s’il y a aussi en eux des êtres en puissance. Or là-bas il n’y a pas de matière ; et c’est en la matière qu’est l’être en puissance ; rien n’est à venir qui ne soit déjà ; rien ne se transforme soit pour engendrer un autre être en subsistant lui-même, soit pour céder la place à un autre en sortant de l’existence. Il n’y a donc là-bas rien en quoi il y ait un être en puissance, puisque, d’ailleurs, les êtres vrais sont éternels et non soumis au temps. – Mais on pourrait demander à ceux qui admettent de la matière dans les intelligibles, s’il n’y a pas aussi en eux de l’être en puissance, puisqu’il y a de la matière. (Si même, en effet, le mot matière est pris en un autre sens, il n’y en a pas moins en chaque intelligible quelque chose qui est comme sa matière, quelque chose qui est comme sa forme, et le composé des deux.) Que diront-ils donc ? – Ce qu’on appelle là-bas la matière est une forme ; l’âme aussi, qui est une forme, est matière par rapport à un autre objet. – Est-elle donc en puissance par rapport à cet objet ? – Non pas ; car la forme lui appartient et ne survient pas en elle après coup ; elle n’a avec la matière qu’une distinction de raison ; on dit : la forme y occupe une matière et l’on perçoit ainsi par la pensée deux choses qui dans la réalité n’en font qu’une. En ce sens Aristote nous dit que son « cinquième corps » est sans matière. ENNÉADES: II, 5 [25] – Que veut dire en puissance et en acte ? 3
Mais que dire de l’âme ? Car elle est bien en puissance ; animal en puissance, lorsqu’elle n’est pas encore unie au corps et qu’elle doit l’être ; musicienne en puissance, et ainsi de toutes les qualités qui lui adviennent et qu’elle n’a pas toujours possédées. Il y a donc bien des choses en puissance dans des êtres intelligibles. – Non, ces choses n’y sont pas en puissance ; mais l’âme est la puissance productrice de ces choses. ENNÉADES: II, 5 [25] – Que veut dire en puissance et en acte ? 3
En quel sens être en acte se dit-il de l’intelligible ? Est-ce au sens où la statue, comme couple de forme et de matière, est un être en acte ? Est-ce parce que chaque intelligible a reçu une forme ? – Non, c’est que chacun d’eux est une forme et qu’il est parfaitement ce qu’il est. L’intelligence ne passe pas de la puissance à l’acte, d’un état où elle est capable de penser à un état où elle pense effectivement (car il faudrait alors avant elle une autre intelligence qui ne fût pas passée de la puissance à l’acte) ; mais le tout de son être est en elle. L’être en puissance ne consent à passer à l’acte que par l’intervention d’un autre terme, nécessaire à la génération d’un être en acte ; mais l’être qui tire de lui-même et garde éternellement ses manières d’être, est un être en acte. Donc tous les êtres premiers sont des êtres en acte ; car ils possèdent d’eux-mêmes et toujours ce qu’ils doivent posséder. Il en est ainsi également de l’âme qui n’est pas dans la matière mais dans l’intelligible. Quant à l’autre âme, celle qui est dans la matière, comme l’âme végétative, elle est aussi en acte ; elle aussi, elle est ce qu’elle est, parce qu’elle est en acte. ENNÉADES: II, 5 [25] – Que veut dire en puissance et en acte ? 3
Tout être réel est en acte ; mais est-il aussi un acte, et en quel sens ? – Si l’on a dit avec raison que « cette nature intelligible est sans sommeil », qu’elle est une vie et la meilleure des vies, c’est là-bas qu’on trouve les plus beaux des actes. Tout être est donc en acte, et il est acte ; tout être est une vie ; le lieu intelligible est le lieu de la vie, le principe et la source véritables de l’âme et de l’intelligence. ENNÉADES: II, 5 [25] – Que veut dire en puissance et en acte ? 3