airain

Disons d’abord ce qu’est l’être en puissance. Le terme en puissance ne doit pas se prendre absolument ; on ne peut être en puissance de rien. Par exemple, l’AIRAIN est la statue en puissance ; si rien ne venait de lui ou en lui, s’il ne devait rien y avoir après lui, si rien ne pouvait venir de lui, l’AIRAIN serait simplement ce qu’il est ; or ce qu’il est existait déjà, et n’était pas à venir ; pourquoi serait-il en puissance, dès maintenant qu’il est là ? L’AIRAIN, pris absolument, n’est donc pas un être en puissance. Le terme en puissance doit se dire de l’être qui est déjà autre que lui-même, parce qu’un autre être peut venir après lui, soit que le premier continue à exister après avoir produit cet être différent, soit qu’il se détruise lui-même en se donnant à l’être qu’il est en puissance ; au premier sens, l’AIRAIN est statue en puissance ; au second sens, l’eau est neige en puissance et l’air est feu en puissance. ENNÉADES – Bréhier: II, 5 (25) – Que veut dire en puissance et en acte ? 1

L’être en puissance, pris en ce sens, s’appelle-t-il aussi puissance par rapport à l’être qui viendra ? Par exemple l’AIRAIN est-il la puissance de la statue ? Si l’on prend la puissance au sens de puissance productrice, pas du tout ; car la puissance, en tant que productrice, ne peut être dite être en puissance. Si l’être en puissance était relatif non seulement à l’être en acte, mais aussi à l’acte, l’être en puissance serait aussi la puissance. Mais il est préférable et il est plus clair de rapporter l’être en puissance à l’être en acte et la puissance à l’acte. Donc l’être en puissance est en quelque sorte le sujet des affections, formes ou essences qu’il va recevoir conformément à sa nature ou qu’il s’efforce de saisir en lui, visant tantôt à la forme la meilleure pour lui, tantôt à des formes inférieures qui le détruiront, mais dont chacune est en acte et différente de lui. ENNÉADES – Bréhier: II, 5 (25) – Que veut dire en puissance et en acte ? 1

La matière, qui est en puissance par rapport aux formes qu’elle reçoit, est-elle, à d’autres égards, un être en acte ou n’est-elle pas du tout un être en acte ? D’une manière générale, ceux des êtres en puissance qui persistent après avoir reçu une forme, deviennent-ils alors eux-mêmes des êtres en acte, ou bien être en acte se ditil seulement de la statue, si bien qu’il n’y a qu’opposition entre la statue en acte et la statue en puissance, et que être en acte ne se dit pas de la chose dont on disait qu’elle était statue en puissance ? S’il en est ainsi, il ne faut pas dire : l’être en puissance devient être en acte, mais : de l’être en puissance, qui est d’abord, est venu ensuite l’être en acte. Quant à l’être en acte, c’est le couple de matière et de forme, et non pas la matière ; c’est aussi la forme qui est en elle. C’est du moins le cas lorsque le nouvel être naît comme la statue naît de l’AIRAIN. Car la substance nouvelle, la statue, est le couple de matière et de forme. Mais dans le cas où l’être en puissance ne subsiste absolument pas dans l’être en acte, il est clair que l’être en puissance est complètement différent de l’être en acte. ENNÉADES – Bréhier: II, 5 (25) – Que veut dire en puissance et en acte ? 2

– Si l’être en puissance est le substrat, et si l’être en acte, comme la statue, est le couple du substrat et de la forme, comment appeler la forme qui est en l’AIRAIN ? – Il convient de lui donner le nom d’acte ; c’est selon lui que la statue est en acte et non plus en puissance ; elle est l’acte non pas pris absolument, mais l’acte de tel être déterminé. Mais le nom d’acte au sens propre conviendrait peut-être mieux à l’acte opposé à la puissance productrice de l’acte ; l’être en puissance tient son être en acte d’un autre être en acte ; mais la puissance dont je parle maintenant, tient son pouvoir d’elle-même, et c’est à elle que s’oppose l’acte, comme s’opposent une disposition et un acte conforme à cette disposition, par exemple la vertu du courage et l’acte courageux. Assez là-dessus. ENNÉADES – Bréhier: II, 5 (25) – Que veut dire en puissance et en acte ? 2

Que dire d’elle alors ? En quel sens est-elle matière des êtres ? – C’est qu’elle est ces êtres en puissance. – Donc elle est déjà, si elle est en puissance. – Oui, elle est déjà en tant qu’être à venir ; son seul être, c’est cet être futur qui s’annonce en elle ; son être se ramène à ce qui sera. Elle n’est rien de particulier en puissance, mais toutes choses ; elle n’est donc rien par elle-même. Mais en tant qu’elle est matière, elle n’est pas en acte ; si elle était quelque chose en acte, l’être en acte qu’elle posséderait ne serait plus matière ; elle ne serait donc plus matière au sens complet du terme ; mais seulement au sens où l’AIRAIN est matière. ENNÉADES – Bréhier: II, 5 (25) – Que veut dire en puissance et en acte ? 5