En quel sens ces passions sont-elles donc communes à l’âme et au corps ? Est-ce parce que le désir vient de la faculté de désirer, la colère de l’appétit irascible, et, en général, la tendance de la faculté des INCLINATIONS ? Mais alors, les passions ne sont plus communes à l’âme et au corps ; elles appartiennent à l’âme toute seule. Non, diton, au corps aussi ; car il faut un bouillonnement du sang et de la bile et, en général, une certaine disposition du corps pour émouvoir nos désirs, par exemple le désir sexuel. D’un autre côté, la tendance au bien n’est pas une affection commune, mais une affection propre à l’âme, et il en est ainsi de plusieurs autres tendances ; et il y a certains arguments qui ne permettent pas de rapporter toutes les tendances au composé. Enfin, quand un homme ressent les désirs de l’amour, c’est bien cet homme qui désire ; mais, en un autre sens, c’est sa faculté de désirer. En quel sens ? Est-ce l’homme qui commence à désirer, et la faculté de désirer suit-elle ? Mais comment l’homme peut-il désirer, si sa faculté de désirer n’est pas en mouvement ? C’est donc elle qui commence ; mais comment commencera-t-elle, si le corps n’a point reçu, au préalable, telle ou telle disposition ? ENNÉADES – Bréhier: I, 1 (53) – Qu’est-ce que l’animal ? Qu’est-ce que l’homme ? 5
Pour ceux qui mettent le bonheur dans l’âme raisonnable, et non simplement dans l’âme, fût-elle sensitive, ils ont peut-être raison. Mais pourquoi ne donnent-ils le bonheur qu’à l’animal raisonnable ? Il faut le leur demander :« Ajoutez-vous cette condition parce que la raison, par son adresse, est capable de rechercher et de procurer facilement les objets qui satisfont nos besoins primordiaux ? L’ajouteriez-vous, si elle n’était pas capable de cette recherche et de ce succès ? Si vous l’estimez pour son pouvoir supérieur d’acquérir ces objets, le bonheur appartiendra aussi aux êtres sans raison : ils peuvent les atteindre sans elle et par instinct. La raison serait alors au service de nos besoins ; elle ne serait plus recherchée pour elle-même, même si elle devient cette raison parfaite qu’on appelle la vertu. Direz-vous que sa valeur ne lui vient pas de ce qu’elle satisfait nos besoins primordiaux, et qu’elle est aimable par elle-même ? Dites alors quelle autre fonction elle a, quelle est sa nature, et ce qui la rend parfaite. » Car sa perfection ne consiste pas à contempler les objets qui satisfont nos besoins ; elle a une autre perfection et une autre nature ; elle n’est pas du nombre des INCLINATIONS naturelles primitives, ni des objets qui satisfont ces INCLINATIONS ; elle n’appartient pas du tout à cette espèce d’êtres ; elle leur est bien supérieure ; ou alors je ne vois pas comment ils peuvent lui attribuer cette valeur. Eh bien ! jusqu’à ce qu’ils lui aient trouvé des objets supérieurs à ceux où ils s’arrêtent maintenant, laissons-les donc rester où ils veulent, à se demander comment on parvient au bonheur et quels êtres y parviennent. ENNÉADES – Bréhier: I, 4 (46) – Du bonheur 2
– Si le ciel possède l’âme, en quelque situation qu’il soit, pourquoi doit-il tourner sur lui-même ?- C’est que l’âme n’est pas seulement dans le monde intelligible ; et si elle a une puissance qui tourne elle-même autour d’un centre, par cette raison aussi le ciel sera animé d’un mouvement circulaire. (Il ne faut pas entendre le terme centre quand on parle du corps de la même manière que quand on parle de l’âme ; en ce dernier cas, le centre est l’origine d’où vient l’âme ; dans le premier, il a un sens local. C’est par analogie qu’on emploie le mot centre ; dans l’âme comme dans le corps du monde, il faut qu’il y ait un centre qui, dans le corps, est seulement le centre de la sphère ; comme l’âme tourne sur elle-même, la sphère tourne aussi sur elle-même.) Si l’âme universelle circule donc autour de Dieu, elle l’environne de son amour, elle se fixe, autant qu’elle peut, autour de lui ; car tout dépend de lui ; ne pouvant être dirigée vers lui, elle se meut autour de lui. – Pourquoi chaque âme n’en faitelle pas autant ? – Chacune en fait autant, selon le lieu où elle est. – Pourquoi alors nos corps ne se meuvent-ils pas comme le ciel ? – Parce que des éléments à trajectoire rectiligne se fixent à eux ; parce que nos INCLINATIONS nous portent vers des objets sans cesse différents ; parce que l’élément sphérique qui est en nous est mal arrondi ; il est terrestre et n’a pas la subtilité et la mobilité qui accompagnent les choses célestes. Sinon, pourquoi s’arrêterait-il, dès que l’âme est agitée d’une émotion quelconque ? Pourtant, il y a peut-être aussi en nous un souffle qui tourne autour de l’âme. Car si Dieu est en toute chose, l’âme qui veut s’unir à lui doit tourner autour de lui, puisqu’il n’est pas ici ou là. Platon accorde aux astres (errants) non seulement le mouvement de rotation qui leur est commun avec le ciel, mais un mouvement particulier de révolution autour de leur propre centre4. Car chaque être, où qu’il soit, embrasse Dieu avec joie non par la réflexion, mais par une nécessité naturelle. ENNÉADES – Bréhier: II, 2 (14) – Du mouvement du ciel ou mouvement circulaire 2