pensées

Mais puisque Platon indique que la ressemblance avec Dieu est d’une autre espèce, en tant qu’elle appartient aux vertus supérieures, il nous faut parler de cette autre ressemblance ; ainsi nous verrons plus clairement quelle est l’essence de la vertu civile et celle de la vertu supérieure et, d’une manière générale, nous verrons qu’il existe une vertu différente de la vertu civile. Platon dit d’abord que la ressemblance avec Dieu consiste à fuir d’ici-bas ; ensuite il appelle les vertus dont il parle dans la République non pas simplement vertus, mais vertus civiles ; enfin ailleurs il appelle toutes les vertus des purifications ; tout cela fait voir qu’il admet deux genres de vertus et qu’il ne met pas dans la vertu politique la ressemblance avec Dieu. En quel sens disons-nous donc que les vertus sont des purifications et que par la purification, surtout, nous devenons semblables à Dieu ? N’est-ce pas parce que l’âme est mauvaise tant qu’elle est mêlée au corps, qu’elle est en sympathie avec lui et qu’elle juge d’accord avec lui, tandis qu’elle est bonne et possède la vertu si cet accord n’a plus lieu, et si elle agit toute seule (action qui est la pensée et la prudence), si elle n’est plus en sympathie avec lui (et c’est là la tempérance), si, le corps une fois quitté, elle ne ressent plus la crainte (c’est le courage), si la raison et l’intelligence dominent sans résistance (c’est la justice). L’âme, ainsi disposée, pense l’intelligible et elle est ainsi sans passion. Cette disposition peut être appelée, en toute vérité, la ressemblance avec Dieu car l’être divin est pur de tout corps et son acte également ; l’être qui l’imite possède donc la prudence. – Mais, dira-t-on, de telles dispositions existent-elles dans l’être divin ? – Non certes, il n’a pas de dispositions du tout ; on ne trouve de dispositions que dans l’âme. – De plus, l’âme a des PENSÉES changeantes ; elle pense un même être intelligible sous des aspects différents et sans penser du tout aux autres. La pensée de Dieu et celle de l’âme n’ont donc que le nom de commun ? – Du tout ; mais l’une est primitive et l’autre dérivée et différente. Comme le langage parlé est une image du langage intérieur à l’âme, celui-ci est une image du Verbe intérieur à un autre être. Comme le langage parlé, comparé au langage intérieur de l’âme, se fragmente en mots, le langage de l’âme, qui traduit le Verbe divin, est fragmentaire si on le compare au Verbe. Oui, la vertu appartient à l’âme et non pas à l’Intelligence, ni au principe supérieur à l’Intelligence. ENNÉADES – Bréhier: I, 2 (19) – Des vertus 3

Se reposer quand on est arrivé là et ne pas vouloir aller plus haut, c’est être paresseux ou ne pas écouter ceux qui remontent aux causes premières, situées au delà. Pourquoi, de deux individus nés dans les mêmes circonstances, par exemple au lever de la lune, l’un commetil un vol et non pas l’autre ? Pourquoi, sous des influences semblables du milieu, l’un tombe-t-il malade et non pas l’autre ? Pourquoi le même travail conduit-il l’un à la fortune et l’autre à la pauvreté ? Pour les différences entre les moeurs, les caractères et les sorts, on croit devoir remonter à des causes lointaines. Jamais l’on ne s’arrête aux faits ; mais les uns posent des principes corporels, comme des atomes ; pour eux, les rapports des choses, leurs états et leur naissance sont l’effet du mouvement des atomes, de leurs chocs et de leur entrelacement comme en sont l’effet, la constitution, les actions et les passions des choses ; nos tendances et nos dispositions dépendent aussi de l’action de ces principes. Il y a là une nécessité qui résulte des atomes, et que l’on introduit dans les êtres. Admettrait-on, comme principes, des corps autres que les atomes, si l’on en fait provenir toute chose, l’on rend aussi les êtres esclaves d’une nécessité dérivée de ces corps. D’autres, remontant au principe de l’univers, déduisent tout de ce principe, et font de lui une cause qui pénètre toutes choses, cause non seulement motrice, mais productrice des êtres ; pour eux, le principe est le destin et la cause souveraine ; des modes de son mouvement dépendent non séulement les autres événements de l’univers, mais encore nos propres PENSÉES ; comme dans un animal chaque partie a un mouvement qui vient non d’ellemême, mais de la partie principale de l’âme qui est en lui. D’autres parlent du mouvement de translation de l’univers, qui contient toute chose et produit tout par son action, par les rapports mutuels de position des planètes et des astres, et les figures qui en résultent ; et ils invoquent les prédictions fondées sur ces rapports ; de là proviennent, selon eux, tous les événements. D’autre part, parler de l’implication des causes les unes dans les autres et du lien qui leur vient d’un principe supérieur, dire que les conséquents suivent toujours des antécédents, qu’ils se ramènent à eux, que sans eux ils ne seraient pas et que l’état postérieur est soumis à l’état antérieur, c’est manifestement une autre manière d’introduire le destin. En divisant en deux cette doctrine, on ne s’écartera donc pas de la vérité. Car les uns rattachent tout à une réalité unique, et non les autres, comme nous le dirons plus tard’. Maintenant notre argumentation doit aller aux premiers ; il faudra ensuite examiner les idées des autres. ENNÉADES – Bréhier: III, 1 (3) – Du destin 2

– Mais d’abord, forcer à ce point l’action de la nécessité et du destin ainsi conçu, c’est les détruire, et c’est aussi détruire l’enchaînement des causes. Quand les parties de notre corps se meuvent sous l’influence de la partie principale de l’âme, il est absurde de dire qu’elles se meuvent fatalement (car le producteur du mouvement n’est pas un être différent de la partie qui le reçoit et qui utilise l’impulsion qui en vient ; ce qui est premier, c’est ce qui meut la jambe) ; de la même manière, si, dans l’univers, l’agent et le patient ne font qu’un, si un être ne vient pas d’un être différent selon un lien causal qui nous fait toujours remonter à un être différent, il n’est pas vrai que tout événement ait une cause, puisque tous les êtres ne feront qu’un. Alors, nous ne sommes plus nous-mêmes, et aucune action n’est notre action ; ce n’est pas nous qui réfléchissons, mais nos volontés sont les PENSÉES d’un autre être ; ce n’est pas nous qui agissons, de même que, dans le corps, ce ne sont pas les pieds qui frappent, mais c’est nous qui frappons avec nos pieds. Pourtant il faut que chacun soit lui-même, que nos PENSÉES et nos actions soient nôtres, que nos actions, bonnes ou mauvaises, viennent de nous, et il ne faut pas attribuer à l’univers la production du mal. ENNÉADES – Bréhier: III, 1 (3) – Du destin 4

– Mais peut-être n’est-ce pas ainsi que les choses se passent ; peut-être tout est-il gouverné par la translation du ciel et le mouvement des astres qui déterminent chaque chose, selon les rapports de position qu’ils ont à leur passage au méridien, à leur lever, à leur coucher et selon leurs conjonctions. De fait, c’est d’après cela que les devins prédisent les futurs événements de l’univers, et en particulier savent dire à chacun quel sera son sort et quelles seront ses PENSÉES. On voit bien les animaux et les plantes grandir, diminuer et subir d’autres actions en sympathie avec les astres ; les régions terrestres diffèrent les unes des autres selon leur rapport à l’univers et particulièrement au soleil ; or, de la nature de ces régions résultent non seulement les plantes et les animaux, mais les hommes avec leur forme, leur taille, leur teint, leurs sentiments, leurs désirs, leurs occupations et leurs mœurs. C’est donc le mouvement de translation de l’univers, qui est maître de toute chose. -À quoi il faut répondre d’abord que cette doctrine aussi, à sa manière, attribue aux astres ce qui est à nous, nos volontés et nos passions, nos vices et nos impulsions ; ne nous donnant rien, elle nous laisse à l’état de pierres qui subissent le mouvement, et non d’hommes qui agissent par eux-mêmes et d’après leur propre nature. Mais il faut nous donner ce qui est à nous ; en ce qui est à nous, en notre être propre doivent bien pénétrer des effets issus de l’univers ; mais il faut distinguer ce qui est notre action de ce que nous subissons nécessairement, et ne pas tout attribuer aux astres. Des régions et de la différence des milieux viennent en nous un échauffement ou un refroidissement dans le mélange (qui constitue notre corps) ; mais d’autres influences viennent aussi de ceux qui nous ont engendrés ; souvent nous sommes semblables à nos parents par nos traits et aussi par des passions irrationnelles de notre âme. Des hommes que leur pays a faits de type semblable, sont pourtant tous différents de caractère et d’esprit, comme si caractère et esprit venaient d’un principe autre (que le milieu physique). Il conviendrait de parler ici de l’opposition entre le tempérament physique et la nature des désirs. Et si, parce que l’on prédit les événements d’après le rapport de position des astres, l’on suppose que ces événements sont produits par eux, il faudrait dire de même que les oiseaux et tous les êtres grâce auxquels prédisent les devins, sont les auteurs des choses qu’ils annoncent. ENNÉADES – Bréhier: III, 1 (3) – Du destin 5

Finalement, cette argumentation veut dire que tout est annoncé et produit par des causes, mais que ces causes sont doubles ; il y a des événements produits par l’âme, d’autres par d’autres causes qui l’environnent. Les âmes, en accomplissant leurs actions, peuvent agir selon la droite raison ; alors, c’est par elles-mêmes qu’elles accomplis sent leurs actions ; ou bien, empêchées d’agir par elles-mêmes, elles pâtissent plutôt qu’elles n’agissent. Les causes qui privent l’âme de la sagesse sont donc différentes de l’âme, et peut-être faut-il dire que dans ce cas elle agit selon le destin, du moins si l’on croit que le destin est une cause extérieure. Mais les meilleures actions viennent de nous ; telle est notre nature, lorsque nous sommes isolés. Les belles actions des sages dépendent d’eux-mêmes ; les autres hommes, lorsqu’il leur est permis de reprendre haleine, font aussi de bonnes actions, non qu’ils reçoivent les PENSÉES sages d’ailleurs que d’eux-mêmes, mais parce que les obstacles sont levés. ENNÉADES – Bréhier: III, 1 (3) – Du destin 10

L’amour est-il un dieu, un démon, ou une passion de l’âme ? Y a-t-il une espèce d’amour qui est dieu ou démon, et une autre qui est passion ? En quoi consiste alors chacune de ces espèces ? Voilà des questions qu’il vaut la peine d’examiner, en parcourant les idées du vulgaire et celles des philosophes sur ce sujet. Souvenons-nous surtout des PENSÉES du divin Platon, qui a beaucoup écrit sur l’amour en plusieurs de ses oeuvres. Il dit que l’amour n’est pas seulement une passion qui naît dans les âmes ; il affirme qu’il est un démon ; et il raconte sa naissance et son origine. À prendre d’abord la passion que nous attribuons à l’amour, nul n’ignore qu’elle est la cause par laquelle naît dans les âmes l’idée de s’unir aux belles choses ; et l’on sait que ce désir tantôt naît chez des hommes tempérants qui s’unissent à la beauté en ellemême, tantôt recherche une action fort laide. Mais il convient de partir de là pour examiner philosophiquement l’origine de chacune de ces deux formes. En admettant qu’il y a dans les âmes, avant l’amour lui-même, une tendance vers la beauté, une connaissance du beau, une affinité avec lui et un sentiment irraisonné de cette parenté, on atteindrait, je crois, la véritable cause de la passion amoureuse. Car la laideur est aussi contraire à la nature qu’à Dieu. La nature produit, son regard fixé sur le beau et sur la détermination qui se trouve dans la ligne du bien ; l’indétermination est laide, et elle est dans la ligne du mal. La nature naît de l’être intelligible, c’est-àdire, évidemment, du Bien et du Beau. ENNÉADES – Bréhier: III, 3 (50) – De l’Amour 1

Tels doivent être tous les autres démons, et tels sont les éléments dont ils sont faits. Tout démon, au rang qui lui a été assigné, est capable de procurer le bien correspondant ; il désire ce bien et, par là, il est analogue à Éros ; pas plus que lui, il ne peut se rassasier. Mais chaque démon aspire à une forme particulière de bien. Aussi les gens de bien, grâce à Éros, aiment le bien en général et le bien véritable et non point tel ou tel bien. Les autres se mettent sous la conduite d’autres démons, et chacun d’eux sous la conduite d’un démon différent ; ils laissent inactif l’Éros universel qu’ils ont en eux ; et ils agissent selon le démon qu’ils ont choisi ; ce choix répond d’ailleurs à la partie de l’âme qui est en eux la plus active. Pour ceux qui n’aspirent qu’au mal, à cause des mauvais désirs survenus en eux, ils entravent les Éros de leurs âmes, comme ils arrêtent la droite raison, qui est innée dans l’homme, par le vice des opinions qui surviennent en eux. Oui, l’amour, quand il est naturel et inné, est une belle chose ; sans doute, dans une âme inférieure, il est de dignité et de qualité inférieures, et, dans une âme supérieure, de qualité supérieure ; mais toujours, il est au rang de l’essence. Mais l’amour contre nature, celui des âmes égarées, n’est plus qu’une manière d’être ; il n’est pas du tout une essence et il n’a pas d’existence substantielle ; il n’est plus, à vrai dire, engendré par l’âme elle-même ; c’est un simple accompagnement du vice de l’âme, qui produit sa propre image dans ses dispositions passagères ou durables. D’une manière générale, semble-t-il, les biens véritables et conformes à la nature, attachés à l’âme qui agit dans les limites de son être, sont des biens substantiels ; les autres biens, qui ne dépendent pas d’un acte venu d’elle-même, ne sont rien que des affections pour elle. De même les PENSÉES fausses n’impliquent pas un rapport à des substances ; les PENSÉES réellement vraies, éternelles et bien définies comportent à la fois un acte de pensée, un objet intelligible, et l’existence de cet objet, qu’il s’agisse de la pensée en général, ou d’une pensée déterminée relative à une forme de l’intelligible et à l’intelligence comprise en chaque forme. ENNÉADES – Bréhier: III, 3 (50) – De l’Amour 7

Pour chacune de ces formes, il nous appartient de poser une notion et un objet purs et dégagés de tout autre ; il nous appartient de les poser dans leur simplicité. De là, l’amour que nous avons pour ces objets pris dans leur simplicité ; c’est que nos PENSÉES ont affaire aux choses simples ; si l’on pense le particulier, c’est par accident ; par exemple, si l’on voit que tel triangle a ses angles égaux à deux droits, c’est en tant qu’il est simplement un trianglel’. ENNÉADES – Bréhier: III, 3 (50) – De l’Amour 7

C’est ce qu’ont saisi, me semble-t-il, les sages de l’Égypte, que ce soit par une science exacte ou spontanément : pour désigner les choses avec sagesse, ils n’usent pas de lettres dessinées, qui se développent en discours et en propositions et qui représentent des sons et des paroles ; ils dessinent des images, dont chacune est celle d’une chose distincte ; ils les gravent dans les temples pour désigner tous les détails de cette chose ; chaque signe gravé est donc une science, une sagesse, une chose réelle, saisie d’une seul coup, et non lune suite de PENSÉES comme) un raisonnement ou une délibération. C’est ensuite que de cette sagesse où tout est ensemble vient une image qui est en autre chose, toute déroulée, qui se formule en une suite de PENSÉES, qui découvre les causes pour lesquelles les choses sont ce qu’elles sont, qui fait admirer la beauté d’une pareille disposition. Quiconque connaît ces questions, dira certainement son admiration pour une sagesse qui, sans posséder les causes par lesquelles les êtres sont ce qu’ils sont, l’ait pourtant découvrir ces causes à ceux qui se conforment à elle. Si donc l’on découvre une beauté pareille, qui nous est apparue ce qu’elle doit être, presque sans recherche réfléchie au même sans recherche du tout, il faut aussi que cette beauté existe avant toute recherche et avant toute réflexion : ainsi l’univers (saisissons ce que je veux dire sur un exemple unique, assez ample pour s’appliquer à tous les cas), ENNÉADES – Bréhier: V, 8 (31) – De la beauté intelligible 6

Si nous sommes incapables de nous voir nous-mêmes, mais si, une fois possédés du dieu, nous produisons en nous sa vision ; si, alors, nous nous représentons à nous-mêmes en voyant notre propre image embellie ; mais si, quittant cette image si belle qu’elle soit, nous nous unissons à nousmêmes, saris plus scinder davantage cette unité qui est tout, unis au dieu présent dans le silence ; si nous sommes unis à lui autant que nous le pouvons et autant que nous y aspirons ; puis si, par un mouvement inverse, nous revenons à nous dédoubler, nous sommes alors assez purifiés pour rester près de lui, si bien qu’il nous est à nouveau présent, dès que nous nous tournons vers lui ; mais de ce retour au dédoublement, nous tirons l’avantage suivant : noirs commençons à avoir conscience de nous-rnèmes, tant que nous sommes différents du dieu ; puis revenant en nous-mèmes, nous possédons à nouveau le tout indivisible ; laissant la conscience, nous revenons en arrière, parce que nous redoutons d’être différent du dieu ; nous retournons là-basnous sommes un avec lui ; puis, si nous avons le désir de le voir comme on voit une chose différente de soi, nous nous mettons à nouveau en dehors de lui. Il faut donc, d’une part, le comprendre, en insistant sur la trace qui reste de lui, le saisir par la raison en le cherchant : mais, d’autre part, sachant maintenant en quoi nous entrons, assuré que c’est dans une réalité bienheureuse, il faut que nous nous donnions jusque dans notre intimité; il nous faut, au lieu d’être un voyant, devenir un spectacle pour un autre qui nous voit tels que nous sommes venus de là-bas, et il faut l’éclairer des PENSÉES que nous en rapportons. – Comment donc sommes-nous dans le beau, si nous ne le voyons pas ? – Le voir comme une chose différente de soi, ce n’est pas encore être dans le Beau ; devenir le Beau, voilà surtout ce qui est être dans le Beau. Si donc nous le voyons comme une chose extérieure à nous-mêmes, il ne faut point d’une pareille vision, à moins que nous ne sachions que nous sommes identiques à la chose vue; il y a alors comme une intelligence et une conscience de nous-mêmes, si nous prenons bien garde de ne pas trop nous écarter de lui, sous prétexte d’augmenter cette conscience. Il faut songer que, chez les malades, les sensations produisent des chocs beaucoup plus forts, au point de diminuer la connaissance intellectuelle, en la heurtant; la maladie nous frappe et nous abat ; la santé, nous laissant au calme, permet bien plus la connaissance de son propre état ; c’est qu’elle préside à notre vie comme un état naturel et qu’elle s’unit à nous ; mais la maladie nous est une chose étrangère, non naturelle, et elle se fait connaître par là même qu’elle apparaît fort différente de nous. Or de ce qui est à nous, nous n’avons pas nous-mêmes sensation : et c’est alors et surtout que nous avons l’intelligence de nous-mêmes, que nous possédons la science de nous-mêmes, que nous nous unissons à nous-mèmes. Là-bas donc, c’est alors que notre savoir est au plus haut point conforme à l’Intelligence, que nous croyons être dans l’ignorance: c’est que nous attendons l’impression sensible, qui, elle, affirme ne rien voir de tout cela : car elle ne voit point, elle ne peut voir pareilles choses : voilà donc ce qui doute de ces choses, c’est la sensation ; et c’est autre chose qu’elle qui est le voyant; et, pour ce voyant, douter de ces choses, ce serait douter de soi-même; car lui non plus, il n’est pas capable de se placer en dehors de lui-mème, pour se voir comme un être sensible, avec les yeux du corps. ENNÉADES – Bréhier: V, 8 (31) – De la beauté intelligible 11