périr

Elle n’est pas non-être, en ce sens qu’elle serait autre que l’être, comme est le mouvement ; car le mouvement est porté sur l’être parce qu’il vient de lui et parce qu’il est en lui ; la matière, elle, est rejetée hors de l’être, tout à fait séparée de lui ; incapable de se transformer, elle reste ce qu’elle était d’abord ; elle était le non-être, et elle l’est toujours. Dès l’abord, elle n’était pas un être en acte, puisqu’elle était bien loin de tous les êtres ; et elle ne l’est pas devenue. Voulant se revêtir des formes, elle n’arrive pas même à en garder le reflet ; elle reste ce qu’elle était, toujours en puissance des formes qui viendront après ; elle apparaît là où cessent les êtres intelligibles ; occupée par les êtres qui sont engendrés après elle, elle reste fixée à la limite inférieure de ces êtres. Étant occupée par ces deux genres d’êtres, elle n’est en acte ni l’un ni l’autre, et l’être en puissance lui est seul laissé ; c’est un fantôme fragile et effacé qui ne peut recevoir une forme. Si elle est en acte, elle est un fantôme en acte, un mensonge en acte ; c’est-à-dire un mensonge véritable6, autant dire le réel non-être. Il s’en faut bien qu’une chose soit un être en acte, si elle a sa vérité dans le non-être. Si elle doit être, elle ne doit pas être en acte, de manière à être en dehors de tout être véritable et à avoir son être dans le non-être ; car si on retire leur mensonge aux êtres mensongers, on leur retire aussi leur essence ; si on introduit l’acte en une chose dont l’être et l’essence sont d’être en puissance, on lui fait perdre le principe même de sa réalité, puisque cette réalité consistait à être en puissance. Si la matière doit se conserver sans PÉRIR, elle doit donc se conserver comme matière. Il faut donc dire, semble-t-il, qu’elle est seulement en puissance pour être réellement matière. Ou bien il faut réfuter nos raisons. ENNÉADES – Bréhier: II, 5 (25) – Que veut dire en puissance et en acte ? 5

Attribuer toutes choses à des corps, que ce soit des atomes ou ce qu’on appelle des éléments, engendrer avec le mouvement irrégulier qui en résulte la règle, la raison et l’âme dominatrice, c’est à la fois absurde et impossible, et il est plus impossible encore, si l’on peut dire, de partir des atomes. On a présenté sur ce point beaucoup d’arguments très justes. Si l’on pose de tels principes, il ne s’ensuit pas même d’une façon nécessaire qu’il y ait, pour toutes choses, une nécessité ou, pour parler autrement, un destin. À supposer d’abord que ces principes soient les atomes, ils sont animés d’un mouvement vers le bas (admettons qu’il y ait un bas) ou d’un mouvement oblique quelconque, chacun dans une direction différente. Aucun de ces mouvements n’est régulier, puisqu’il n’y a pas de règle, et leur résultat, une fois produit, serait régulier ! Il n’y a donc absolument ni prédiction ni divination, qu’il s’agisse de la divination par l’art (comment l’art aurait-il pour objet des choses sans règle ?) ou de la divination enthousiaste et inspirée ; car il faut, en ce cas aussi, que l’avenir soit déterminé. Il y aura bien nécessité, pour les corps qui reçoivent le choc des atomes, de subir le mouvement que ces atomes leur impriment ; mais à quels mouvements d’atomes attribuera-t-on les actions et les passions de l’âme ? Quel est le choc qui, en portant l’âme vers le bas, ou en la heurtant d’une manière quelconque, la fera raisonner ou vouloir de telle ou telle manière, donnera au raisonnement, à la volonté ou à la pensée une existence nécessaire et, plus généralement, l’existence ? Et lorsque l’âme s’oppose aux passions du corps ? Quels mouvements d’atomes effectueront nécessairement la pensée du géomètre, celle de l’arithméticien et de l’astronome, et enfin la sagesse ? Car enfin, ce qui est nôtre dans nos actions, ce qui fait de nous des êtres vivants, tout cela disparaîtra, si nous sommes emportés où nous mènent les corps et au gré de leur impulsion, comme des choses inanimées. Les mêmes arguments s’adressent à ceux qui posent comme principes des corps autres que les atomes ; on peut dire en outre que ces corps peuvent nous réchauffer, nous refroidir et faire PÉRIR ceux qui sont plus faibles ; mais il n’en résulte aucune des actions propres de l’âme, et il faut faire dériver ces actions d’un principe différent. ENNÉADES – Bréhier: III, 1 (3) – Du destin 3

Imaginez le monde sensible, avec chacune de ses parties restant ce qu’elle est sans aucune confusion, et cependant toutes ensemble en une unité, autant que possible, si bien que l’apparition de l’une quelconque d’entre elles, par exemple de la sphère extérieure du ciel, soit immédiatement liée à l’imaae du soleil et, à la fois, des autres astres, et que l’on voie la terre, la mer, et tous les animaux, comme en une sphère transparente, en laquelle l’on pourrait réellement tout voir. Ayez dans l’esprit l’image lumineuse d’une sphère, image qui contienne tout en elle, les êtres qui sont en mouvement ou en repos, ceux qui ne sont qu’en mouvement, et ceux qui ne sont qu’en repos. Gardez bien cette image en vous, et supprimez-en la masse; supprimez-en encore l’étendue et la matière que vous avez dans l’imagination : n’essayez pas d’imaginer une autre sphère de masse plus petite ; mais invoquez le dieu qui a produit la sphère dont vous avez l’image, et priez-le, pour qu’il vienne jusqu’à vous. Le voici qui vient apportant son propre monde avec tous les dieux qui sont eti lui: il est unique et il est tous; chacun est tous ; tous sont en un ; tous sont différents par leurs puissances ; mais tous font un par l’unité de leur multiple puissance ; ou plutôt un est tous ; car il ne perd rien, quand naissent tous ceux-là ; tous sont ensemble ; chacun à part est en repos en un pointt indivisible, puisqu’il n’a pas de forme sensible ; sinon l’un seraift ici, l’autre ailleurs, et chacun ne serait pas, en soi, le total ; il ne contient pas de parties qui seraient différentes l’une de l’autre pour les autres ou pour lui-même, et sa totalité n’est pas celle d’une puissance qui se fragmente autant de fois qu’il y a de parties tombant sous la mesure. Cette totalité est puissance totale qui va à l’infini, qui s’exerce à l’infini ; et il est si grand que ses parties mêmes sont infinies. Où peut-on dire qu’il n’atteint pas ? Grand certes est notre monde avec toutes les puissances qu’il renferme à la fois : il serait plus grand encore, d’une grandeur telle qu’on ne pourrait le dire, s’il ne s’y unissait point une puissance corporelle, qui est petite ; on dira pourtant que grandes sont les puissances du feu et des autres corps : dès à présent, dans l’ignorance de ce qu’est la véritable puissance, on les imagine brûlant, anéantissant, écrasant, servant à la naissance des êtres vivants. Mais si elles font PÉRIR, c’est qu’elles-mêmes périssent ; si elles engendrent, c’est qu’elles-mêmes sont engendrées : là-bas, la puissance possède seulement l’être, seulement la beauté ; car où serait le beau privé de l’être? où serait l’être privé de la beauté? Perdre de la beauté, c’est aussi manquer d’être. Et c’est pourquoi l’être est objet de désir, parce qu’il est identique au beau, et le beau est aimable, parce qu’il est l’être. A quoi bon chercher lequel est cause de l’autre, puisqu’il n’y a là qu’une seule nature ? Ici c’est un être mensonger à qui il faut une beauté empruntée, un simulacre, pour paraître beau et même pour être ; il n’est qu’autant qu’il participe à la beauté de la forme, et il est d’autant plus parfait qu’il en a pris davantage : la belle essence est alors plus proche de lui. ENNÉADES – Bréhier: V, 8 (31) – De la beauté intelligible 9