philosophie

Mais comment ces passions viendront-elles du corps jusqu’à elle ? Un corps communique ses propriétés à un autre corps ; mais à l’âme ? Ce serait dire qu’un être pâtit de la passion d’un autre. Tant que l’âme est un principe qui se sert du corps, et le corps un instrument de l’âme, ils restent séparés l’un de l’autre ; et si l’on admet que l’âme est un principe qui se sert du corps, on la sépare. Mais avant qu’on ait atteint cette séparation par la pratique de la PHILOSOPHIE, qu’en était-il ? Ils sont mêlés : mais comment ? Ou bien c’est d’une des espèces de mélanges ; ou bien il y a entrelacement réciproque ; ou bien l’âme est comme la forme du corps, et n’est point séparée de lui ; ou bien elle est une forme qui touche le corps, comme le pilote touche son gouvernail ; ou bien une partie de l’âme est séparée du corps et se sert de lui, et une autre partie y est mélangée et passe elle-même au rang d’organe ; la PHILOSOPHIE fait alors retourner cette seconde partie à la première, et elle détourne celle-ci, autant que nos besoins le permettent, du corps dont elle se sert, pour qu’elle ne passe pas tout son temps à s’en servir. ENNÉADES – Bréhier: I, 1 (53) – Qu’est-ce que l’animal ? Qu’est-ce que l’homme ? 3

D’où la dialectique tire-t-elle ses principes ? C’est l’intelligence qui donne des principes évidents, à condition que l’âme puisse les recevoir ; de là, la série de ses opérations ; elle compose, combine et divise, jusqu’à ce qu’elle arrive à l’intelligence complète. La dialectique, dit Platon, est le plus pur de l’intelligence et de la prudence. Étant la plus précieuse de nos facultés, elle se rapporte par conséquent à l’être et à la réalité la plus précieuse, à savoir la prudence à l’être, et l’intelligence à ce qui est au-delà de l’être. Quoi donc ! la PHILOSOPHIE n’est-elle pas précieuse entre tout ? Oui, mais la dialectique lui est identique, ou du moins en est la partie précieuse ; n’allons pas croire en effet qu’elle est un simple organe du philosophe, qu’elle soit simplement un ensemble de théorèmes et de règles ; elle porte sur des réalités, et sa matière, ce sont les êtres ; mais c’est qu’elle a une méthode pour aller jusqu’aux êtres, et elle possède, en même temps que les théorèmes, les réalités elles-mêmes. Elle ne connaît que par accident l’erreur et le sophisme ; quand un autre les commet, elle les discerne comme une chose qui lui est étrangère ; elle connaît l’erreur par la vérité qui est en elle, lorsqu’on lui présente une affirmation contraire à la règle du vrai. Elle ignore la théorie des propositions (qui sont à elle comme les lettres sont à un mot) ; mais connaissant la vérité, elle sait ce qu’on appelle une proposition et, d’une manière générale, elle connaît les opérations de l’âme ; la proposition affirmative et la négative ; la règle : Si on nie (le conséquent), on pose (le contraire de l’antécédent), et autres règles analogues ; elle sait si des termes sont différents ou identiques, mais elle a toute ces connaissances d’une manière aussi immédiate que la sensation perçoit les choses, et elle laisse à ceux qui ont le goût de cette étude le soin d’en parler avec minutie. ENNÉADES – Bréhier: I, 3 (20) – De la dialectique 5

Donc la dialectique est une partie de la PHILOSOPHIE, et précieuse entre toutes. La PHILOSOPHIE a d’autres parties ; elle étudie la nature avec l’aide de la dialectique ; et si l’arithmétique aussi et d’autres arts usent de la dialectique, la physique en est bien plus proche et tire bien plus d’elle. La PHILOSOPHIE étudie la morale, en partant encore de la dialectique ; elle y ajoute les bonnes habitudes et les exercices d’où elles proviennent. Les habitudes rationnelles tirent leur caractère propre de cette origine dialectique ; bien qu’elles soient engagées dans la matière, elles gardent beaucoup de la dialectique. Si les autres vertus ne font qu’appliquer le raisonnement à des passions et à des actions qui sont particulières en chacune, la prudence, elle, est une espèce de raisonnement qui vise davantage au général ; elle se demande si la conduite est conséquente, si, dans le cas présent, il faut s’abstenir d’une action ou l’accomplir ou s’il y en a une meilleure ; mais c’est la dialectique et la sagesse qui fournissent à la prudence les règles absolument universelles et sans matière qu’elle utilise. ENNÉADES – Bréhier: I, 3 (20) – De la dialectique 6

Mais déjà, au milieu des formules platoniciennes du chapitre IV, nous voyons apparaître des traits qui détonent ; la dialectique n’a pas seulement pour objet le Bien, comme chez Platon, mais ce qui n’est pas le Bien. Toute la suite montre avec la dernière clarté que les inspirateurs de la pensée de Plotin, dans la question des rapports de la dialectique avec la PHILOSOPHIE, et de la dialectique avec la vertu, ce sont les Stoïciens. Outre les frappantes ressemblances de détail, que nous indiquons en note, ajoutons que la position de Plotin sur ces questions est justement celle d’Épictète, qui, tout comme Plotin, proteste contre la subtilité des logiciens, et, en même temps, considère la dialectique comme indispensable pour consommer et affermir définitivement la vertu (NT: La dialectique est définie au chapitre 4 d’après Platon ; comparer 1. 2-3 et Rép., 532 a, 534 b; 1. 12 à 16 et Phèdre, 265 d-266 c; 1. 15 (plékousa) et Polit., 262 c; 1. 14 (les genres premiers) et Soph., 254 d. Mais l’idée du chapitre 5, que la dialectique porte sur les choses mêmes, bien qu’elle puisse dériver de Platon (Soph., 218 c) est une idée stoïcienne (Diogène Laërce. VII, 83), ainsi que la dépendance de la physique et de l’éthique par rapport à la dialectique (ch. 6, début ; Diogène Laërce, ibid.). La discussion indiquée ch. 5, 1. 10 sur la place de la dialectique est d’origine stoïcienne (Arnim, Fragm. Vet. St., III, n° 42) ; la logique, que Plotin oppose à la dialectique à la fin du chap. 5 ne contient que des formules stoïciennes techniques. Pour l’ensemble, comparer avec Épictète, Entretiens, III, 26, 13-20.). ENNÉADES – Bréhier: I, 3 (20) – De la dialectique Notice Traducteur

Parlons maintenant de l’Amour qu’on prétend être un dieu ; ce n’est pas seulement une opinion courante, c’est celle des théologiens et de Platon. Platon en maint passage appelle Éros fils d’Aphrodité ; il en fait le gardien des beaux enfants, celui qui meut leurs âmes vers la beauté intelligible ou qui fortifie la tendance déjà existante qui les y porte. C’est de cet Amour et de lui surtout que la PHILOSOPHIE doit parler. Recevons aussi l’enseignement que Platon nous a donné dans le Banquet ; ici Eros n’est plus né d’Aphrodité, mais de Poros et de Pénia, le jour de la naissance d’Aphrodité ; mais qu’il soit né d’elle, ou qu’il soit né en même temps qu’elle, le sujet exige que nous parlions d’Aphrodité. ENNÉADES – Bréhier: III, 3 (50) – De l’Amour 2