Ces mouvements de la sensibilité ne sont pas des fautes morales ; l’homme est pleinement corrigé. Mais son effort vise non pas à ne pas faillir, mais à être Dieu ; et tant que ces mouvements involontaires se produisent, il est encore un être démoniaque et un démon, puisqu’il est double ; ou plutôt il a en lui un être différent de lui et dont la vertu est différente de la sienne. Si ces mouvements ne se produisent plus, il est purement et simplement un dieu, un de ces dieux qui viennent à la suite du PREMIER. Car c’est un de ces dieux qui lui-même est venu d’en haut ; pour lui-même, s’il devient tel qu’il est venu, il est en haut ; mais, venu ici-bas, il réside en notre intelligence et la rend semblable à lui, autant qu’elle peut y être semblable ; et, si c’est possible, elle ne subit plus les chocs extérieurs et ne fait aucune des actions qui déplaisent au dieu, son maître. ENNÉADES – Bréhier: I, 2 (19) – Des vertus 6
Le PREMIER est la puissance du mouvement et du repos ; il est donc au delà de l’un et de l’autre. Le second principe est doué d’un mouvement et d’un repos relatifs au PREMIER; ce second principe, c’est l’Intelligence ; et, parce qu’il se rapporte à autre chose que lui, il possède la pensée ; mais le PREMIER n’a pas la pensée. L’être qui pense est double ; il se pense lui-même ; il y a donc un défaut en lui parce que son bien ne consiste pas à exister, mais à penser. ENNÉADES – Bréhier: III, 9 (13) – Considérations diverses 7
Dieu ou le PREMIER est au delà de l’être ; mais l’Intelligence est l’être même ; et le mouvement et le repos sont en elle. Le PREMIER ne se rapporte à nulle autre chose ; mais les autres choses se rapportent à lui ; en lui, elles se reposent dans l’immobilité, et vers lui elles se meuvent. Le mouvement est une aspiration ; mais le PREMIER n’aspire à rien ; et que pourrait désirer ce qui est au sommet ? – Ne se pense-t-il donc pas lui-même ? – Oui, si se posséder soi-même voulait dire penser ; mais la possession de soi-même n’est pas la pensée ; penser, c’est contempler le PREMIER. Cette contemplation est l’acte premier, la pensée elle-même ; et si elle est le premier acte, aucune pensée ne doit lui être antérieure. Le PREMIER, qui la produit, est au delà d’elle ; la pensée vient au second rang après lui. Le premier objet de notre vénération n’est pas la pensée (je ne dis pas une pensée quelconque, mais la pensée du Bien). Le Bien est donc au delà de la pensée. -Alors il n’aura pas conscience de lui-même ? – Et que serait cette conscience ? Est-ce ou non la conscience d’être le Bien ? Si c’est la conscience d’être le Bien, il est déjà le Bien avant d’en avoir conscience ; et si la conscience de lui-même fait qu’il est le Bien, il n’était donc pas le Bien avant d’avoir eu conscience de lui-même; alors il n’aura pas conscience de lui-même, puisque cette conscience n’est pas une conscience du Bien. – Quoi donc ? Ne vit-il pas ? – Non ; on ne doit pas le dire, puisqu’il donne la vie. Ce qui a conscience de soi, ce qui se pense soi-même est au second rang ; si un être a conscience, c’est pour s’unir à lui-même par cet acte ; s’il apprend à se connaître, c’est qu’il se trouvait ignorant de lui-même ; à cause du défaut de sa propre nature, il ne s’achève que par la pensée. Il faut donc enlever la pensée au PREMIER ; la lui attribuer, c’est lui enlever sa réalité et lui prêter un défaut. ENNÉADES – Bréhier: III, 9 (13) – Considérations diverses 9
Ainsi toutes choses sont le PREMIER et ne sont pas le PREMIER ; elles sont le PREMIER parce qu’elles en dérivent ; elles ne sont pas le PREMIER, parce que celui-ci reste en lui-même, en leur donnant l’existence. Toutes choses sont donc comme une Vie qui s’étend en ligne droite ; chacun des points successifs de la ligne est différent ; mais la ligne entière est continue. Elle a des points sans cesse différents ; mais le point antérieur ne périt pas dans celui qui le suit. ENNÉADES – Bréhier: V, 2 (11) – De la génération et de l’ordre des choses qui viennent après le PREMIER 2
S’il y a des êtres après le PREMIER, il est nécessaire ou bien qu’ils viennent immédiatement de lui, ou bien qu’ils s’y ramènent par des intermédiaires, et qu’ils aient le second ou le troisième rang, le second se ramenant au premier et le troisième au second. Il faut, que, en avant de toutes choses, il y ait une chose simple et différente de toutes celles qui viennent après elle ; elle est en elle-même et ne se mélange pas avec celles qui la suivent et en revanche elle peut être présente d’une autre manière aux autres choses. Elle est vraiment l’Un ; elle n’est pas une autre chose et ensuite un ; il y est même faux de dire d’elle : l’Un ; « elle n’est pas objet de discours ni de science » ; et on dit qu’elle est « au delà de l’essence». S’il n’y avait pas une chose simple, étrangère à tout accident et à toute composition et réellement une, il n’y aurait pas de principe; et parce qu’elle est simple et la première de toutes, elle se sullit à elle-même ; car ce qui suit a besoin de ce qui précède ; ce qui n’est pas simple a besoin des termes simples, dont il doit être composé. Une telle chose doit être unique ; car si elle avait sa pareille, les deux ne feraient qu’un. Il ne s’agit pas en effet de deux corps, dont l’un serait le corps primitif ; un corps n’est pas un être simple, il est engendré, et n’est pas principe. Le principe n’est pas engendré : et parce qu’il n’est pas corporel, mais réellement un, il est ce PREMIER dont nous parlons. ENNÉADES – Bréhier: V, 4 (7) – Comment les êtres qui viennent après le PREMIER dérivent du PREMIER : sur l’Un 1
Donc s’il y a un être après le PREMIER, ce n’est plus un être simple ; c’est une unité multiple. D’où vient-elle ? Du PREMIER ; car s’il y avait rencontre de hasard (entre les termes multiples), il ne serait pas le principe de toutes choses. Comment donc vient-elle du PREMIER ? Si le PREMIER est un être parfait et le plus parfait de tous, s’il en est de même de la puissance première, il doit être le plus puissant de tous les êtres, et les autres puissances doivent l’imiter autant qu’elles peuvent. Or, dès qu’un être arrive à son point de perfection, nous voyons qu’il engendre ; il ne supporte pas de rester en lui-même : mais il produit un autre être ; et ceci est vrai non seulement des êtres qui ont une volonté réfléchie, mais encore de ceux qui végètent sans volonté, ou des êtres inanimés qui communiquent tout ce qu’ils peuvent de leur être. Par exemple le feu réchauffe ; la neige refroidit ; le poison agit sur un autre être ; enfin toutes les choses, autant qu’elles peuvent, imitent le principe en éternité et en bonté. Comment donc l’être le plus parfait et le Bien premier resterait-il immobile en lui-même ? Serait-ce par envie ? Serait-ce par impuissance, lui qui est la puissance de toutes choses ? Et comment alors serait-il encore le principe ? Il faut donc que quelque chose vienne de lui, puisque les êtres tiennent de lui le pouvoir d’en faire exister d’autres (car c’est nécessairement de lui qu’ils le tiennent). Le principe générateur doit être le plus vénérable ; mais l’être engendré immédiatement après lui est supérieur à tous les autres. ENNÉADES – Bréhier: V, 4 (7) – Comment les êtres qui viennent après le PREMIER dérivent du PREMIER : sur l’Un 1
En outre, si le PREMIER pensait, il aurait un attribut ; il ne serait donc pas le PREMIER, mais le second ; il ne serait pas un, mais multiple. Il serait tout ce qu’il pense ; ne pensât-il que lui-même, il serait multiple. ENNÉADES – Bréhier: V, 6 (24) – Ce qui est au-delà de l’être ne pense pas. Quel est l’être pensant de premier rang ? Quel est celui de second rang ? 2
– Dira-t-on que rien n’empêche qu’une seule et même chose ait des attributs multiples ? – Le sujet de ces attributs, à tout le moins, est un ; pas de multiplicité, s’il n’y a une unité dont elle dérive et en laquelle elle est, s’il n’y a au moins une de ces choses multiples qui est comptée la première, et que l’on peut isoler et saisir en elle-même. – Dira-t-on que ce premier terme est simultané aux autres ? – Alors il faut le réunir avec les autres, et bien qu’il soit différent d’eux tous, l’abandonner puisqu’il ne se sépare pas des autres. Il faut, en revanche, postuler un sujet, sujet qui n’est plus un terme parmi les autres, mais qui existe en lui-même. – Ce sujet, dira-t-on, est au sein même des autres termes. – Oui, un sujet qui lui ressemble, mais non ce sujet lui-même ; car, pour qu’il apparaisse dans le multiple, il faut que, en lui-même, il soit isolé. – Dira-t-on qu’il n’a d’existence que dans son union aux autres termes ? – Donc il n’existera pas à l’état simple. Mais alors il n’y aura pas non plus de composé ; car s’il ne peut être à l’état simple, il n’aura aucune existence substantielle ; et si le simple n’existe pas, le composé n’existera pas non plus. Car chacun de ces termes ne peut être un terme simple, puisqu’il n’y a pas de terme simple doué d’une existence substantielle ; et aucun d’eux ne pouvant avoir en lui-même d’existence substantielle ne peut se lier à un autre, puisqu’aucun d’eux absolument n’existe. Comment alors un composé pourrait-il exister ? Comment naîtrait-il de choses qui n’ont pas l’être, je ne dis pas de choses qui n’ont pas tout l’être, mais de choses qui n’ont pas d’être du tout ? S’il y a une multiplicité, il faut, avant cette multiplicité, une unité. Si donc l’être pensant est une multiplicité, il ne faut pas que la pensée soit en ce qui n’est pas une multiplicité. Or tel est le PREMIER. La pensée et l’intelligence sont donc en des êtres postérieurs à lui. ENNÉADES – Bréhier: V, 6 (24) – Ce qui est au-delà de l’être ne pense pas. Quel est l’être pensant de premier rang ? Quel est celui de second rang ? 3
On peut comparer le PREMIER à la lumière, l’être qui vient après lui au soleil, et le troisième à la lune qui reçoit sa lumière du soleil. L’âme a une intelligence d’emprunt qui l’éclaire à la surface, lorsqu’elle est intelligente. L’intelligence a en elle-même une lumière propre, bien qu’elle ne soit pas de la lumière pure, mais un être illuminé jusqu’au fond de sa substance. L’Un lui fournit la lumière ; il est lumière ; il est une lumière simple qui donne à l’intelligence le pouvoir d’être ce qu’elle est. Pourquoi donc aurait-il besoin de quoi que ce soit ! Car il n’est pas en lui-même une chose qui est en autre chose ; être en autre chose, c’est très différent d’exister par soi-même. ENNÉADES – Bréhier: V, 6 (24) – Ce qui est au-delà de l’être ne pense pas. Quel est l’être pensant de premier rang ? Quel est celui de second rang ? 4