3. BUT DE LA PHILOSOPHIE

BUT DE LA PHILOSOPHIE
HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE, TOME I: L’ANTIQUITÉ ET LE MOYEN AGE

Ce qui fait l’unité de toutes ces formes, ce qui, en quelque sorte, les nécessite, c’est le désir d’établir la place du philosophe dans la cité, et sa mission morale et sociale. Dans la Grèce d’alors, le philosophe ne se définit nullement, par rapport aux autres genres de spéculations, scientifiques ou religieuses, mais bien par son rapport et ses différences avec l’orateur, le sophiste, le politique. La philosophie est la découverte d’une nouvelle forme de vie intellectuelle, qui ne peut au reste se séparer de la vie sociale. Les dialogues nous dépeignent cette vie, et, avec elle, tous les drames et comédies qui en sont issus. A certains égards, cette philosophie heurtait des habitudes solidement implantées en Grèce à cette époque, et il était inévitable qu’il se produisît des conflits dont la mort de Socrate est la conséquence tragique.

Qu’est le philosophe ? Il y en a chez Platon des portraits multiples. Il est, dans le Phédon (64e sq. [‘plaisirs’]), l’homme qui s’est purifié des souillures du corps, ne vit plus que par l’âme, et ne craint pas la mort, puisque, dès cette vie, son âme est séparée du corps. Dans le Théétète (172c 177c [‘XXIV.’]), il est l’homme inhabile et maladroit dans ses rapports avec les hommes, qui ne sera jamais à sa place dans la société humaine et restera sans influence dans la cité. Dans la République, il est le chef de la cité, et c’est bien lui qui, dans les Lois (X, 909a), est devenu cette sorte d’inquisiteur qui, voulant « le salut de l’âme » des citoyens, impose aux habitants de la ville la croyance aux dieux de la cité ou la prison perpétuelle. Enfin, c’est l’enthousiaste et l’inspiré du Phèdre (244a sq.) et du Banquet (210a). Il y a dans ces portraits successifs deux traits dominants qui semblent se contredire ; d’une part, le philosophe doit « fuir d’ici » , se purifier, vivre en contact avec les réalités qu’ignorent le sophiste ou le politique. D’autre part, il doit construire la cité juste où se reflètent, dans les rapports sociaux, les rapports exacts et rigoureux qui sont l’objet de la science. Le philosophe est, d’une part, le savant retiré du monde et, d’autre part, le sage et le juste, le vrai politique qui donne des lois à la cité. Platon lui-même n’est il pas à la fois le fondateur de l’académie, l’ami des mathématiciens et des astronomes, et, d’autre part, le conseiller de Dion et de Denys le tyran ? De plus si, comme philosophe, il est l’inventeur, ou le promoteur d’une logique rigoureuse, il est aussi l’inspiré dont l’esprit resterait stérile sans l’impulsion d’Éros, et qui ne peut engendrer que dans le beau ; la discussion raisonnée se double d’une dialectique de l’amour qui se traduit par des effusions lyriques et des contemplations mystiques . Savant et mystique, philosophe et politique, ce sont des traits ordinairement séparés, et que, au cours de cette histoire, nous ne rencontrerons plus unis que chez quelques grands réformateurs du XIXe siècle. Aussi importe t il de bien comprendre ce qui fait leur lien.