Bouillet: Tratado 49 (V, 3) – DES HYPOSTASES QUI CONNAISSENT ET DU PRINCIPE SUPÉRIEUR

(1) Pour se connaître et se penser soi-même, il faut être un principe simple, parce que la véritable connaissance de soi-même suppose l’identité du sujet pensant et de l’objet pensé.

(II-IV) Cette identité n’existe point dans la sensation, qui perçoit les modifications éprouvées par le corps. Elle n’existe pas non plus dans la raison discursive, qui s’exerce sur les images fournies par la sensation et sur les données de l’intelligence pure: Car, dans le premier cas, la raison discursive connaît des choses qui lui sont étrangères ; dans le second cas, elle sait quelle est sa propre nature et quelles sont ses fonctions, mais elle ne possède pas la connaissance de soi-même comme la possède l’intelligence, partie principale de l’âme, elle forme une puissance moyenne, tantôt s’élevant vers l’intelligence dont elle reçoit ses règles, tantôt s’abaissant vers la sensibilité dont elle juge les données.

(V-VI) C’est dans l’intelligence seule que se trouve la véritable connaissance de soi-même. En pensant, elle se pense elle-même : car en elle le sujet pensant, l’objet pensé et la pensée sont une seule et même chose, savoir la pensée substantielle. La raison discursive ne se connaît elle-même que par l’intelligence (dia nou), et c’est de là qu’elle tire son nom (dianontikon). L’intelligence, au contraire, par sa conversion vers elle-même, connaît naturellement son existence et son essence : en contemplant les réalités, elle se contemple elle-même, et cette contemplation est l’acte qui la constitue.

(VII) Lorsque l’intelligence connaît Dieu, elle se connaît encore elle-même, parce qu’en connaissant Dieu elle connaît les puissances qui en procèdent, elle sait qu’elle en tient l’existence. Si elle n’a point de Dieu une intuition claire parce qu’elle ne lui est pas identique, du moins elle a une intuition claire d’elle-même, puisque dans l’intuition qu’elle a d’elle-même, le sujet et l’objet sont identiques. C’est parce que l’intelligence est en elle-même un acte qu’elle communique à l’âme une puissance intellectuelle.

(VIII-IX) L’intelligence connaît à la fois sa propre nature et celle de l’intelligible, parce qu’en elle la chose qui contemple, celle qui est contemplée et la contemplation ne font qu’un. L’intelligence est donc sa propre lumière; elle se voit par elle-même, tandis que l’âme ne se voit que par sa conversion vers l’intelligence dont elle reçoit sa puissance intellectuelle. Pour arriver à concevoir l’intelligence, il faut que l’âme s’élève successivement de la puissance végétative à la sensibilité, de la sensibilité à l’opinion, et de l’opinion à la pensée pure: car c’est par la pensée pure que l’âme est l’image de l’intelligence; elle se connaît par son principe, tandis que l’intelligence se connaît par elle-même.

(X) Comme la pensée implique à la fois identité et différence, par conséquent XX dualité du sujet pensant et de l’objet pensé, l’intelligence est une chose multiple. L’intelligible doit être également une chose multiple, parce que s’il était absolument simple, la pensée n’y distinguerait rien, par conséquent ne le concevrait pas.

(XI) L’Intelligence divine a procédé de l’Un à l’état de simple puissance de penser. En se tournant vers lui, elle est devenue la pensée en acte, et elle a rendu multiple ce qu’elle a reçu de son principe. C’est ainsi qu’elle est à la fois intelligence, essence et pensée, tandis que l’Un, étant absolument simple, est supérieur à la pensée.

(XII) On ne saurait admettre qu’il y ait dans l’Un un acte multiple avec une essence simple et unique, parce qu’en lui l’acte est identique à l’essence. Il est donc supérieur à la faculté de connaître, et l’Intelligence, qu’il engendre tout en restant immobile, est donc le premier principe connaissant.

(XIII-XIV) Étant supérieure la faculté de connaître, l’Un ne peut être saisi tout entier par la pensée ni énoncé par la parole : car l’absolu est ineffable parce qu’il est au-dessus de toute détermination. On ne saurait donc attribuer à l’Un la conscience dans le sens ordinaire du moi. Ne pouvant ainsi ni le saisir par la pensée ni l’énoncer par la parole, on doit se borner à dire de lui ce qu’il n’est pas et affirmer de lui seulement qu’il est le principe de toutes choses.

(XV) L’Un est la puissance qui produit toutes choses, parce qu’étant absolument simple il n’est aucune d’elles en particulier. L’hypostase qu’il engendre est multiple, parce qu’elle est inférieure: elle renferme toutes choses, mais ces choses sont logiquement distinctes; il en résulte que l’Intelligence est unité-totalité et que chaque intelligible est unité-multiple.

(XVI-XVII) Sous un point de vue, le Premier est l’Un parce qu’il est en vertu de sa simplicité le principe dont procède l’Intelligence. Sous un autre point de vue, il est le Bien, parce qu’il est en vertu de sa perfection le but auquel l’Intelligence aspire dans sa conversion. Considéré en lui-même, il est l’ Absolu dans une souveraine indépendance de toutes choses ; il est le principe créateur de l’essence et de l’existence absolue, qui appartient en propre à l’Intelligence. Par sa nature, il est ineffable et incompréhensible. Il ne peut être atteint que par une sorte de contact intellectuel. On doit croire qu’on l’a vu quand une lumière soudaine a éclairé l’âme.