V. Il faut appeler animal ou le corps organisé, ou le composé de l’âme et du corps, ou une troisième chose qui procède des deux premières. De quelque manière que l’on conçoive l’existence de l’animal, il faut admettre, ou que l’âme reste impassible tout en donnant à une autre substance la faculté d’éprouver des passions, ou qu’elle partage les passions du corps, et que, dans ce dernier cas, elle éprouve soit les mêmes passions, soit des passions analogues, de telle sorte qu’à un désir de l’animal corresponde un acte ou une passion de l’appétit concupiscible.
Nous examinerons ultérieurement ce qui concerne le corps organisé. Pour le moment, voyons comment le composé de l’âme et du corps peut éprouver la souffrance. Est-ce parce que, en vertu de la disposition du corps, la modification éprouvée produit une sensation et que cette sensation elle-même aboutit à l’âme? Mais on ne voit pas encore clairement comment naît la sensation. Admettrons-nous que la souffrance a son principe dans cette opinion ou ce jugement qu’un malheur nous arrive à nous-mêmes ou à quelqu’un des nôtres, qu’alors il en résulte une émotion désagréable dans le corps et par suite dans tout l’animal? Mais on ne voit pas non plus à qui appartient l’opinion, si c’est à l’âme ou au composé de l’âme et du corps. D’ailleurs, l’opinion de la présence d’un mal n’entraîne pas toujours la souffrance : il est possible que, malgré une telle opinion, on n’éprouve aucune affliction, que par exemple on ne s’irrite pas en se croyant méprisé, de même qu’on peut n’éprouver aucun désir, même dans l’attente d’un bien.
Comment donc naissent ces affections communes à l’âme et au corps? Dira-t-on que la concupiscence dérive de l’appétit concupiscible, la colère de l’appétit irascible, en un mot, chaque affection de l’appétit correspondant? Mais en concevant ainsi les choses, ces affections ne seront pas 42 encore communes: elles appartiendront soit à l’âme seule, soit au corps seul. Il en est qui, pour naître, ont besoin que le sang et la bile s’échauffent et que le corps soit dans un certain état qui excite le désir, comme dans l’amour physique. D’un autre côté, l’amour du bien n’est pas une affection commune; c’est une affection propre à l’âme, ainsi que plusieurs autres. La raison ne permet donc pas de rapporter toutes les affections au composé de l’âme et du corps.
Mais, dans l’amour physique par exemple, l’homme éprouvera-t-il un désir, et l’appétit concupiscible en éprouvera-t-il autant de son côté? Mais alors, comment? Dira-t-on que l’homme commencera à éprouver le désir et que l’appétit concupiscible s’exercera à la suite? Comment alors l’homme pourra-t-il éprouver un désir sans que l’appétit concupiscible soit en jeu? Dira-t-on que c’est l’appétit concupiscible qui commencera ? Mais comment entrera-t-il en exercice si le corps ne se trouve préalablement dans les dispositions convenables?