Chambry: Lachès XIX

SOCRATE: XIX. — Je vais m’expliquer autrement. Si, par exemple, je te demandais ce que c’est que la vitesse, laquelle se rencontre dans la course, dans le jeu de la cithare, dans la parole, dans l’étude et dans beaucoup d’autres choses, et qui trouve son emploi dans presque toute action qui vaut la peine qu’on en parle, dans l’exercice de nos mains, de nos jambes, de notre bouche, de notre voix, de notre intelligence… n’entends-tu pas cela comme moi ?

LACHÈS: Si.

SOCRATE: Si donc on me demandait : Qu’entends-tu, Socrate, par ce que tu appelles vitesse appliquée à tous les cas ? je lui répondrais : j’appelle vitesse la faculté qui exécute beaucoup de choses en peu de temps, qu’il s’agisse de la voix, de la course et de tout le reste.

LACHÈS: Ta réponse serait juste.

SOCRATE: Maintenant, Lachès, essaie à ton tour de définir le courage. Dis-nous quelle est cette faculté, toujours la même dans le plaisir et dans le chagrin et dans tous les cas où nous venons de dire qu’elle se trouvait, et que nous appelons le courage.

LACHÈS: Il me semble que c’est une sorte de fermeté d’âme, s’il faut en déterminer la nature dans tous les cas.

SOCRATE: Mais oui, il le faut, si nous voulons avoir la réponse à notre question. Maintenant voici ce je que pense, moi je ne crois pas que toute fermeté te paraisse courageuse, et voici sur quoi je le conjecture, c’est que je suis à peu près certain, Lachès, que tu ranges le courage parmi les très belles choses.

LACHÈS: Parmi les plus belles, n’en doute pas.

SOCRATE: Mais n’est-ce pas la fermeté accompagnée d’intelligence qui est belle et bonne ?

LACHÈS: Certainement.

SOCRATE: Et si elle est jointe à la folie ? n’est-elle pas au contraire nuisible et malfaisante ?

LACHÈS: Si.

SOCRATE: Alors appelleras-tu belle une pareille chose, une chose qui est nuisible et malfaisante ?

LACHÈS: Ce ne serait pas juste, Socrate.

SOCRATE: Tu ne reconnaîtras donc pas le courage dans cette espèce de fermeté, puisqu’elle n’est pas belle et que le courage est beau ?

LACHÈS: Tu as raison.

SOCRATE: Ce serait donc la fermeté intelligente qui, d’après toi, serait le courage ?

LACHÈS: Il me semble.