Chambry: La République V 451b-457b – Lugar da mulher no Estado

— Il faut par conséquent, dis-je alors, revenir à présent en arrière, à ce que j’aurais peut-être dû dire tout à l’heure sans attendre. Et peut-être c serait-il correct, après avoir totalement exploré le drame masculin, d’explorer à son tour le drame féminin, d’autant que tu réclames qu’on procède ains.

En effet, pour des êtres humains nés et éduqués comme nous l’avons exposé, à mon avis il n’y a pas d’autre façon correcte de posséder enfants et femmes et d’en user avec eux qu’en suivant l’impulsion que nous avions commencé à leur donner. Or nous avions entrepris, n’est-ce pas, d’établir, par nos paroles, ces hommes comme les gardiens d’un troupeau.

— Oui.

— Soyons donc conséquents d en attribuant aux femmes un mode de naissance et un élevage similaires, et examinons si cela nous convient ou non.

— De quelle façon ? dit-il.

— De la façon suivante. Croyons-nous que les femelles des chiens de garde doivent monter la garde avec les mâles de la même façon exactement qu’ils montent la garde, chasser avec eux, et faire tout en commun avec eux, ou bien rester à l’intérieur (dans l’idée que mettre au monde et élever les chiots les rend incapables), tandis qu’eux peineraient et prendraient tout le soin du troupeau ?

— Qu’elles fassent tout en commun avec eux, dit-il. Si ce n’est que nous avons recours e à elles comme à des êtres plus faibles, et à eux comme à des êtres plus forts.

— Est-il donc possible, dis-je, d’avoir recours à quelque “être vivant pour le même usage, si on ne lui a pas procuré le même élevage et la même éducation qu’aux autres ?

— Non, ce n’est pas possible.

— Si par conséquent nous devons employer les femmes aux mêmes tâches que les hommes, il faut aussi leur enseigner les mêmes sujets. 452 — Oui.

— Or eux, on leur a donné musique et gymnastique.

— Oui.

— Alors aux femmes aussi il faut accorder ces deux arts, ainsi que la connaissance de la guerre, et il faut avoir recours à elles dans les mêmes conditions.

— C’est normal, en fonction de ce que tu dis, dit-il.

— Mais, repris-je, peut-être que dans ce que nous disons à présent, bien des choses paraîtraient ridiculement contraires à l’usage, si on se mettait à les pratiquer telles qu’on les dit.

— Oui, en effet, dit-il.

— Que vois-tu de plus ridicule là-dedans ? dis-je. N’est-il pas visible que c’est de laisser des femmes s’entraî- ner nues à la gymnastique dans les palestres en compagnie des hommes, b non seulement les jeunes femmes, mais aussi tant qu’on y est les plus âgées, à l’instar des vieillards dans les gymnases lorsque, ridés et ayant cessé d’être plaisants à voir, ils continuent cependant à aimer s’exercer nus ?

— Oui, par Zeus, dit-il, cela paraîtrait ridicule, en tout cas à l’époque présente.

— Eh bien, dis-je, puisque nous avons pris notre élan pour parler, il ne faut pas craindre les moqueries, quels que soient leur nombre et leur qualité, que les plaisantins “pourraient lancer contre la réalisation d’un tel changement, qui concernerait à la fois les exercices gymnastiques et c la musique, sans oublier le port des armes et la monte des chevaux.

— Tu as raison, dit-il.

— Allons, puisque nous avons commencé à parler, il faut progresser jusqu’à ce qu’il y a de rebutant dans cette loi. Demandons aux plaisantins de renoncer à exercer leur fonction, et d’être sérieux, et rappelons-leur que le temps n’est pas ancien où aux Grecs semblait déshonorant et risible ce qui paraît tel actuellement à la plupart des Barbares, à savoir que les hommes se laissent voir nus ; et que lorsque les exercices gymniques commencèrent à être pratiqués d’abord par les Crétois, d puis par les Lacédémoniens, les raffinés de l’époque ne manquaient pas de tourner tout cela en comédies. Ne le crois-tu pas ?

— Si.

— Mais lovsqu’à l’usage, je crois, il leur apparut qu’en tous ces exercices se dévêtir était préférable à se couvrir, même ce que leurs yeux leur montraient comme indubitablement ridicule, fut effacé par ce que les arguments leur montraient comme étant le meilleur. Et cela démontra la sottise de celui qui juge ridicule autre chose que ce qui est mal, et fit voir que celui qui entreprend de faire rire en regardant comme ridicule quelque autre spectacle que celui de e ce qui est insensé et mauvais (et inversement en matière de beau), assigne à ses efforts quelque autre cible que la cible du bien.

— Oui, tout à fait une autre cible, dit-il.

Ne faut-il donc pas d’abord s’accorder en ces matières sur le point suivant : est-ce réalisable ou non ? et donc livrer à la discussion, qu’on veuille s’y livrer par amour du jeu ou dans une intention sérieuse, la question de savoir si 453 la nature humaine, chez la femelle, est capable de s’associer avec le sexe mâle dans tous ses travaux ou pas même dans un seul, ou si elle l’est dans “certains et pas dans d’autres, et dans laquelle des deux catégories placer précisément les travaux de la guerre ? En commençant ainsi, de la façon la plus belle, ne terminerait-on pas aussi normalement de la façon la plus belle ?

— Si, la plus belle, et de loin, dit-il.

— Veux-tu alors, dis-je, que nous nous portions la contestation à nous-mêmes, à la place des autres, afin que la position de l’argument adverse n’ait pas à soutenir le siège sans être défendue ? b — Rien ne l’empêche, dit-il.

— Parlons donc ainsi à leur place : ” Socrate et Glaugon, il n’est nullement besoin que d’autres mènent la discussion contre vous ; car vous-mêmes, au début de la fondation de la cité que vous avez fondée, étiez tombés d’accord que chacun devait s’occuper uniquement de ce qui lui revenait selon la nature.”

— Oui, nous en étions tombés d’accord, je crois. Comment l’éviter ?

— “Or est-il concevable que la femme ne diffère pas tout à fait de l’homme par sa nature ?”

— Comment pourrait-elle ne pas différer de lui ?

— “C’est donc une fonction différente aussi qu’il convient de prescrire à l’un et à l’autre, celle qui correspond à sa propre c nature ? ”

Bien sûr.

— “Alors comment nier que vous commettiez une faute à présent, puisque vous êtes en contradiction avec vous-mêmes, quand vous affirmez à l’inverse que les hommes et les femmes doivent faire les mêmes choses, alors qu’ils ont des natures distinctes au plus haut point ?” Auras-tu, homme admirable, quelque chose à répondre pour ta défense ?

— À l’instant même, dit-il, ce n’est guère facile. Mais je te demanderai, et je te demande en ce moment, de te faire aussi l’interprète de l’argument qui nous représente, quel qu’il puisse être. ”

— Voilà, dis-je, Glaucon, les inconvénients — avec bien d’autres du même genre — que je prévoyais d et redoutais depuis longtemps, et qui me faisaient hésiter à aborder la loi concernant la possession des femmes et l’élevage des enfants.

— Par Zeus, en effet, cela ne semble pas commode.

— Non, en effet, dis-je. Mais c’est pourtant bien ainsi : que l’on tombe dans un petit bassin ou au milieu de la plus grande mer, on n’en a pas moins à nager.

— Oui, certainement,

— Par conséquent, nous aussi il nous faut nager, et essayer d’échapper à cet argument, que nous comptions sur un dauphin pour nous soutenir, ou sur quelque autre moyen de salut aussi extraordinaire. e — Oui, apparemment, dit-il.

— Vois donc, dis-je, si nous pourrons trouver une issue. Nous sommes bien d’accord qu’une nature différente doit s’appliquer à quelque chose de différent, et que la nature de la femme et celle de l’homme sont différentes. Or nous affirmons à présent que ces natures, qui sont différentes, doivent s’appliquer aux mêmes choses. C’est de cela que vous nous accusez ?

— Oui, parfaitement.

— Certes, elle est imposante, Glaucon, dis-je, la 454 puissance de l’art d’opposer argument à argument !

— En quoi ?

— C’est que, dis-je, il me semble que beaucoup de gens y succombent même malgré eux ; ils croient non pas disputer, mais dialoguer, alors qu’en fait ils ne sont pas capables d’examiner ce dont on parle en y distinguant des espèces différentes, mais s’attachent aux mots en eux-mêmes pour aller à la chasse de la contradiction dans les termes employés : c’est une querelle, non un dialogue, que la relation qu’ils ont entre eux. ”

— En effet, dit-il, c’est bien ce qui arrive à beaucoup de gens, Mais est-ce que nous aussi ce reproche nous atteint en ce moment ?

— Oui, tout à fait, b dis-je. Nous risquons bien, malgré nous, de nous attacher à ne faire qu’opposer argument à argument.

— Comment cela ?

— L’idée que des natures qui ne sont pas les mêmes ne doivent pas avoir les mêmes occupations, nous la poursuivons avec beaucoup de vaillance et de goût de la querelle, en nous attachant aux mots, mais nous n’avons nullement examiné comment définir tant l’espèce de la nature autre que celle de la nature identique, et à quoi chacune se rapportait, au moment où nous avons attribué des occupations différentes à une nature différente, et les mêmes à la même.

— Non, en effet, dit-il, nous ne l’avons pas examiné. c — Dès lors, dis-je, il nous serait possible, apparemment, de nous demander si la nature des chauves est la même que celle des hommes chevelus, et non pas opposée ; puis, après être tombés d’accord qu’elle est opposée, s’il se trouvait que ce soient les chauves qui fassent les savetiers, de ne pas le permettre aux chevelus, et au cas où ce seraient les chevelus, de ne pas le permettre aux autres.

— Ce serait certes risible, dit-il.

— Est-ce que par hasard, dis-je, ce serait risible pour une autre raison que celle-ci : parce que nous n’avons pas posé à ce moment-là la nature identique et la nature différente au sens absolu, mais que nous n’avons pris garde qu’à l’espèce d’altérité d et de similitude qui concerne ces occupations ? Par exemple nous avons dit qu’un homme doué pour la médecine, et un autre homme doué pour la médecine, ont la même nature . Ne le crois-tu pas ? ”

— Si.

— Mais un homme doué pour la médecine et un homme doué pour la charpente en ont une différente ?

— Oui, absolument.

— Par conséquent, dis-je, pour le genre des hommes comme pour celui des femmes, s’il apparaît différer pour l’exercice de tel art ou de telle autre occupation, nous déclarerons qu’effectivement il faut conférer cette occupation à l’un et non à l’autre ; mais s’il n’apparaît différer que sur ce seul point, à savoir que le genre femelle enfante, et que le mâle engendre, nous affirmerons e qu’il n’a nullement été démontré pour autant que la femme diffère de l’homme pour ce dont nous parlons, et nous continuerons à croire que nos gardiens et leurs femmes doivent s’appliquer aux mêmes occupations.

— Et nous aurons raison, dit-il.

— Par conséquent pourquoi ne pas inviter ensuite celui qui parle pour nous contredire à nous 455 apprendre précisément ceci : pour quel art ou quelle occupation, parmi ceux qui touchent à l’organisation de la cité, la nature de la femme et celle de l’homme sont non pas la même nature, mais des natures différentes ?

— Oui, ce serait juste,

— Peut-être bien que ce que tu disais un peu auparavant, un autre aussi le dirait, à savoir que répondre sur-le-champ de façon satisfaisante, ce n’est pas facile, mais que si on examine la question cela n’a rien de difficile.

— Oui, peut-être le dirait-il.

— Veux-tu alors que nous demandions à celui qui nous oppose de tels arguments de nous suivre dans notre démarche, pour voir si nous pourrons b lui démontrer qu’il n’existe aucune occupation propre à une femme, si l’on considère l’administration de la cité ? ”

— Oui, certainement.

— Allons, lui déclarerons-nous, réponds : quand tu disais que celui-ci était bien doué pour quelque chose, et pas cet autre, voulais-tu dire que le premier apprenait cette chose facilement, et l’autre difficilement ? et que le premier, sur la base d’un court apprentissage, serait apte à découvrir beaucoup dans le domaine où il aurait appris, tandis que l’autre, même après avoir bénéficié d’un long apprentissage et d’une longue pratique, ne saurait même pas conserver en lui ce qu’il aurait appris ? Et que chez le premier les fonctions du corps se mettraient au service c de la pensée de façon satisfaisante, tandis que chez l’autre elles s’y opposeraient ? Userais-tu d’autres critères que de ceux-là pour distinguer dans chaque cas celui qui est doué, de celui qui ne l’est pas ?

— Personne ne pourrait en désigner d’autres, dit-il.

— Eh bien, connais-tu une activité à laquelle les humains s’adonnent, et dans laquelle le genre masculin, sur tous ces points, ne se comporte pas mieux que celui des femmes ? À moins que nous n’épiloguions en parlant de l’art de tisser, de l’attention prêtée aux pâtisseries, et aux plats cuisinés, domaines dans lesquels il semble bien d que le genre féminin ait quelque valeur, et où justement il est tout à fait ridicule qu’elles se laissent surpasser ?

— Tu dis vrai, dit-il, à savoir qu’en tout, pour ainsi dire, l’un des sexes l’emporte de beaucoup sur l’autre. Il est vrai que de nombreuses femmes, dans de nombreux domaines, sont meilleures que beaucoup d’hommes. Mais dans l’ensemble il en va comme toi tu le dis.

— Il n’y a donc, mon ami, aucune occupation des gens qui administrent une cité qui revienne à une femme parce qu’elle est femme, ni à un homme parce qu’il est homme, mais les natures sont pareillement réparties dans les deux ordres d’êtres vivants : la femme participe à toutes les occupations, cela est conforme à la nature, et l’homme e à toutes ; mais en toutes choses la femme est un être plus faible que l’homme. ”

— Oui, exactement.

— Alors prescrirons-nous toutes les occupations aux hommes, et aucune à la femme ?

— Comment pourrions-nous agir ainsi ?

— Mais, je crois, à ce que nous affirmerons, il existe telle femme douée pour la rnédecine, et telle qui ne l’est pas, telle femme douée pour les Muses, et telle autre étrangère aux Muses, tout cela par nature.

Bien sûr.

— Et celle-ci n’est-elle pas douée pour l’exercice nu, et douée pour la guerre, 456 tandis qu’une autre est étrangère à la guerre, et n’aime pas l’exercice nu ?

— Si, je le crois.

— Mais alors il y aurait aussi bien telle femme qui aime la sagesse (philosophe), et telle femme qui la hait ? Telle qui a du cœur, et telle autre non ?

— Oui, cela existe aussi.

— Il existe donc aussi telle femme douée pour la garde, et telle autre non. N’est-ce pas un tel naturel que nous avons sélectionné aussi chez les hommes doués pour la garde ?

— Si, c’est bien un tel naturel.

— Donc aussi bien chez les femmes que chez les hommes existe le même naturel adapté à la garde de la cité, si ce n’est que l’un est plus faible, et l’autre plus fort,

— C’est ce qui apparaît.

— Et ce sont donc de telles femmes qu’il faut b sélectionner pour vivre avec des hommes du même genre et pour monter la garde avec eux, si toutefois elles y sont suffisamment propres et ont une nature parente de la leur.

— Oui, exactement.

— Or quant aux occupations, ne faut-il pas attribuer les mêmes aux natures identiques ?

— Si, les mêmes.

Nous sommes donc arrivés au point précédent, au “terme d’un parcours circulaire ; et nous voici d’accord qu’il n’est pas contre nature d’attribuer aux femmes des gardiens à la fois musique et gymnastique.

— Oui, certainement.

— La législation que c nous avions instituée n’est donc ni impossible ni semblable à un vœu pieux, puisqu’il s’agit d’une loi que nous avons instituée conformément à la nature. C’est apparemment plutôt ce qui se produit de nos jours, en sens inverse, qui est contre nature.

— Apparemment.

— Or notre examen consistait à savoir si ce que nous disions était à la fois réalisable, et le meilleur ?

— Oui, c’est cela.

— Pour ce qui est de dire ces dispositions réalisables, nous voici donc tombés d’accord ?

— Oui.

— C’est sur le fait qu’elles sont bien les meilleures, qu’il faut après cela se mettre d’accord ?

— Visiblement.

— Or donc, s’il s’agit de produire une femme apte à la garde, il n’y aura pas une éducation pour nous fabriquer des hommes, et une autre des femmes, surtout si cette éducation d prend en charge le même naturel ?

— Non, il n’y en aura qu’une.

— Cela dit, quelle est ton opinion, sur le sujet suivant ?

— Lequel ?

— Celui-ci : si tu supposes en toi-même que tel homme est meilleur, et tel autre pire ; ou si tu les juges tous semblables ?

— Non, je ne les juge nullement tous semblables.

— Par conséquent, dans la cité que nous avons fondée, crois-tu que les meilleurs hommes que nous aurons produits seront les gardiens qui auront reçu l’éducation que nous avons exposée, ou les savetiers qui auront été éduqués dans l’art de la cordonnerie ?

— Tu poses là une question ridicule, dit-il. ”

— Je comprends, dis-je. Mais encore : parmi tous les citoyens, e ne sont-ce pas les premiers les meilleurs ?

— Si, de loin.

— Mais dis-moi : parmi les femmes, ne seront-ce pas celles-là les meilleures ?

— Mais si, de loin là aussi. Et y a-t-il pour une cité quelque chose de meilleur que lorsque s’y trouvent des femmes et des hommes qui soient les meilleurs possible ?

— Non, rien de mieux.

— Et c’est ce que réaliseront musique et gymnastique, en intervenant 457 comme nous l’avons exposé ?

— Inévitablement.

— C’est donc non seulement un règlement réalisable, mais même le meilleur qui soit pour une cité, que nous avons établi.

— Oui, c’est cela.

— Il faut alors bien que les femmes des gardiens se dévêtent, puisqu’elles s’envelopperont d’excellence en guise de manteaux ; il leur faut s’associer à la guerre et à l’ensemble de la garde de la cité, et elles ne doivent se soucier de rien d’autre. Mais de cela il faut attribuer aux femmes une part plus légère qu’aux hommes, à cause de la faiblesse b de leur sexe. Quant à l’homme qui rit en voyant des femmes nues, quand elles s’exercent nues pour la meilleure des causes, “il cueille un fruit de ridicule qui n’est pas à son terme ” , et apparemment il ne sait pas de quoi il rit, ni ce qu’il fait. Car sans aucun doute, ce qu’on dit et ce qu’on dira certainement de plus beau, c’est que c’est l’avantageux qui est beau, et le nuisible laid.

— Oui, certainement.

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