Chambry: La République V 466d-471c – Problema da guerra

— Pour en venir à la conduite de la guerre, en effet, e dis-je, on voit bien de quelle façon ils feront la guerre.

— De quelle façon ? dit-il. ”

— Ils feront campagne en commun, et en plus ils mèneront à la guerre ceux des enfants qui sont vigoureux, de façon que, comme ceux des autres artisans, ils voient le métier qu’ils devront exercer quand ils seront des hommes faits. Et en plus de voir cela, ces enfants apporteront aide et 467 assistance pour tous les besoins de la guerre, et prendront soin des pères et mères. N’as-tu pas remarqué, dans le cas des métiers, comment par exemple les enfants des potiers pendant longtemps servent d’aides et regardent, avant de toucher au travail de la poterie ?

— Si, exactement.

— Eh bien, est-ce que les potiers doivent éduquer leurs enfants avec plus de soin que ne le font les gardiens, à la fois par l’expérience, et en donnant le spectacle des gestes appropriés ?

— Ce serait tout à fait risible, dit-il.

— Et en plus, n’est-ce pas, tout être vivant combat de façon supérieure b quand sont présents ceux qu’il a engendrés.

— Oui, c’est vrai. Mais il y a, Socrate, un danger non négligeable en cas de défaite, ce qui à la guerre se produit volontiers : c’est qu’ils ne causent la perte de leurs enfants en plus de la leur propre, et ne rendent le reste de la cité incapable de s’en remettre.

— Tu dis vrai, dis-je. Mais toi, penses-tu que la première chose à assurer, ce soit d’éviter tout danger ?

— Non, nullement.

— Eh bien ? s’ils doivent jamais courir un risque, n’est-ce pas dans le cas où se comporter correctement les rendra meilleurs ?

— Si, c’est bien visible. c — Mais crois-tu que cela importe peu, et que cela ne vaille pas le risque encouru, que leurs enfants, qui seront des hommes de guerre, voient ou non les réalités de la guerre ? ”

— Si, cela importe dans la perspective de ton propos.

— Par conséquent il faut faire en sorte de rendre les enfants spectateurs de la guerre, et en plus trouver les moyens d’assurer leur sécurit. é, et tout ira bien. N’est-ce pas ?

— Oui.

— Or, dis-je, en premier lieu leurs pères, dans la mesure où des humains le peuvent, ne seront pas sans s’y connaître en expéditions, et sauront distinguer lesquelles d sont risquées, et lesquelles non?

— On peut s’y attendre, dit-il.

— Par conséquent ils les mèneront à certaines, et s’en garderont pour les autres.

— Ils auront raison.

— Et, dis-je, ils mettront à leur tête pour les diriger, n’est-ce pas, non pas les hommes plus médiocres, mais ceux qui par l’expérience et par l’âge sont aptes à être des chefs et des pédagogues.

— Oui, c’est ce qui convient.

— Mais, dirons-nous, c’est que bien des événements arrivent souvent sans qu’on s’y attende.

— Oui, certainement.

— C’est donc en prévision d’événements de ce genre, mon ami, qu’il est nécessaire de les équiper d’ailes dès leur enfance, pour que, lorsqu’il le faudra, ils puissent s’échapper en s’envolant. e — Que veux-tu dire ? reprit-il.

— Il faut, dis-je, les plus jeunes possible les faire monter sur les chevaux, et une fois qu’on leur a enseigné à monter à cheval, les conduire à ce spectacle sur des chevaux non pas pleins de cœur ni belliqueux, mais aux pieds les plus légers possible, et les plus dociles au frein possible. Car c’est ainsi qu’ils verront le mieux ce qu’est leur tâche, et c’est avec la plus grande sécurité qu’en cas de besoin, ils se préserveront en suivant leurs chefs plus âgés. ”

— Tu me sembles avoir raison, 468 dit-il.

— Mais, repris-je, comment concevoir ce qui accompagne la guerre ? Comment faut-il que tes soldats se comportent entre eux, et envers les ennemis ? Est-ce que les choses m’apparaissent correctement, ou non ?

— Dis-moi comment elles t’apparaissent, dit-il.

— Celui d’entre eux, dis-je, qui a abandonné sa place, ou a jeté ses armes, ou qui a, par lâcheté, commis un acte comparable, ne faut-il pas en faire un artisan, ou un agriculteur ?

— Si, certainement.

— Et celui qui est emmené vivant chez les ennemis, ne faut-il pas le donner en cadeau à ceux qui l’ont fait prisonnier, pour qu’ils fassent de leur prise ce qu’ils b veulent ?

— Si, parfaitement.

— En revanche, celui qui s’est distingué, et illustré, ne te semble-t-il pas que pour commencer, durant la campagne, il doit être couronné par les jeunes gens et les enfants qui ont pris part à l’expédition, chacun à tour de rôle ? Non ?

— Si, je pense que oui.

— Et qu’on lui serre la main droite ?

— Oui, cela aussi.

— Mais ce qui suit, dis-je, je crois que tu ne l’approuves plus.

— Quel genre de chose est-ce ?

— Qu’il embrasse chacun et soit embrassé par lui.

— Si, plus que tout, dit-il. Et je fais un ajout à la loi : que tant qu’ils seront c dans cette expédition, aucun de ceux qu’il désirerait embrasser ne puisse se refuser à lui, de façon que si on se trouve être amoureux de quelqu’un, garçon ou fille, on mette plus de cœur à se distinguer.

Bien, dis-je. De toute façon, que le brave aurait plus de mariages préparés que les autres, et que le choix tomberait plus souvent sur de tels hommes que sur les “autres, de façon à faire engendrer le plus d’enfants possible par un tel homme, cela on l’avait déjà dit.

— En effet, nous l’avions dit, dit-il.

— Et, de plus, même selon Homère il est juste d’honorer par de telles récompenses ceux des jeunes qui ont de la valeur. Ainsi d Homère dit qu’à Ajax, qui s’était illustré dans la guerre, on accorda le privilège des morceaux du dos dans leur longueur parce qu’on pensait que cet honneur convenait à un homme à la fois en pleine jeunesse, et viril, et lui permettrait d’accroître ses forces en même temps que sa gloire.

— On avait tout à fait raison, dit-il.

— Par conséquent, dis-je, sur ce point en tout cas nous suivrons Homère, En effet, nous, dans les sacrifices comme dans toutes les occasions semblables, nous honorerons les hommes vaillants, dans la mesure où ils se révéleront vaillants, à la fois par des hymnes et par les avantages que nous disions à l’instant, et en plus de cela par des sièges, e et par des viandes, et par des coupes pleines, afin, tout en les honorant, de contribuer à exercer les hommes et les femmes de valeur.

— Tu parles tout à fait comme il faut, dit-il.

— Bon. Et parmi ceux qui seront morts pendant l’expédition, celui qui aura fini ses jours en s’illustrant, ne commencerons-nous pas par déclarer qu’il appartient à la race d’or ?

— Si, avant tout.

— Mais ne suivrons-nous pas Hésiode, quand il dit que lorsque certains des hommes d’une telle race finissent leurs jours, alors sans aucun doute ” 469 ils parviennent à l’état de génies purs habitant sur la terre, valeureux, protégeant du mal, gardiens des hommes doués de la parole ?

— Si, nous nous en laisserons convaincre.

— Alors, nous étant informés auprès du dieu pour savoir comment il faut porter en terre les corps de ces êtres démoniques et divins, et avec quel apparat, ne les y porterons-nous pas de la façon même qui nous aura été indiquée !

— Si. Comment pourrions-nous nous y dérober ?

— Et pour le reste des temps, c’est en les considérant comme ceux d’êtres démoniques que nous prendrons soin de leurs tombeaux et que nous nous y b prosternerons ? Et nous établirons ces mêmes règles chaque fois que finira ses jours, de vieillesse ou de quelque autre façon, l’un de ceux qui auront été, pendant leur vie, jugés des hommes de valeur exceptionnelle ?

— Oui, ce serait juste, dit-il.

— Mais voyons : envers les ennemis, comment agiront nos soldats ?

— Sur quel point ?

— Tout d’abord concernant la réduction en esclavage : semble-t-il juste que des cités grecques réduisent des Grecs en esclavage ? Ne faudrait-il pas qu’autant qu’il est possible elles l’interdisent même à toute autre cité, et imposent l’habitude d’épargner la race grecque, tout en prenant garde c à ne pas subir l’esclavage de la part des Barbares ?

— L’épargner, dit-il, c’est ce qui importe dans l’ensemble comme dans le détail. ”

— Par conséquent qu’eux-mêmes ne possèdent pas d’esclave grec, et qu’aux autres Grecs ils donnent le conseil d’agir de même ?

— Oui, exactement, dit-il. Ainsi dès lors ils se tourneraient plutôt contre les Barbares, et éviteraient de s’attaquer entre eux.

— Mais voyons, dis-je. Dépouiller ceux qui ont fini leurs jours (sauf de leurs armes), lorsqu’on l’emporte, est-ce bien ? Cela ne fournit-il pas un prétexte aux lâches pour ne pas d s’attaquer à celui qui combat, en leur laissant penser qu’ils accomplissent une tâche nécessaire en s’accroupissant au-dessus du mort, quand nombre d’armées ont déjà été menées à leur perte par une telle habitude de pillage ?

— Si, certainement.

— Et cela ne semble-t-il pas un acte dépourvu du sens de la liberté et marqué par le goût des richesses que de dépouiller un cadavre, et une attitude digne d’un esprit à la fois efféminé et mesquin que de cnnsidérer comme ennemi le corps de qui est mort, alors que l’ennemi s’en est envolé, ne laissant derrière lui que ce avec quoi il guerroyait ? Crois-tu que ceux qui e font cela agissent différemment des chiennes qui s’irritent contre les pierres qui leur sont lancées, mais ne touchent pas à qui les a lancées ?

— Non, pas du tout, dit-il.

— Alors faut-il abandonner la pratique de dépouiller les cadavres, et d’empêcher de relever les corps ?

— Il faut sans aucun doute l’abandonner, par Zeus, dit-il.

Nous ne porterons certes pas non plus les armes dans les lieux sacrés pour en faire des offrandes, surtout celles des Grecs, si nous avons quelque souci 470 de bienveillance envers les autres Grecs. Nous craindrons même que ce ne soit plutôt une cause de souillure que de porter dans un lieu sacré de tels objets venant de nos “proches, à moins que décidément le dieu ne dise autrement.

Nous aurons tout à fait raison, dit-il.

— Mais que dire de la dévastation de la terre grecque par le fer, et de celle des maisons grecques par le feu ? Tes soldats l’exerceront-ils contre leurs ennemis ?

— C’est toi, dit-il, que j’écouterais avec plaisir énoncer ton opinion là-dessus.

— Eh bien à mon avis, dis-je, sans doute ne feront-ils b ni l’un ni l’autre ; ils ne feront que saisir la récolte de l’année. Veux-tu que je te dise pourquoi ?

— Oui, certainement. Il me semble, que de même qu’il existe ces deux noms, “guerre ” et “dissension interne ” , de même il existe deux réalités, liées à deux types de conflits entre deux types d’êtres. Ce que je dis être deux, c’est d’une part ce qui est proche et du même peuple, de l’autre ce qui est à des gens différents, et étrangers. Or à l’hostilité contre qui est proche on donne le nom de “dissension interne ” , et à celle contre qui vient d’ailleurs le nom de “guerre ” .

— En tout cas, dit-il, tu ne dis rien là d’extravagant.

— Vois alors si ce que je vais dire c convient aussi, J’affirme que la race grecque est pour elle-même proche et apparentée, et qu’elle est étrangère et autre pour la race barbare.

— C’est bien dit, dit-il.

Nous affirmerons par conséquent que quand des “Grecs combattent des Barbares, et des Barbares des Grecs, ils font la guerre et sont par nature ennemis, et qu’il faut nommer cette hostilité “guerre ” . Tandis que lorsque des Grecs mènent une action qui y ressemble contre des Grecs, nous dirons que par nature ils sont amis’, mais qu’en la circonstance la Grèce est malade, qu’elle est en dissension interne, d et qu’il faut nommer une telle hostilité “dissension interne ” ,

— Pour moi, dit-il, j’approuve que l’on considère les choses ainsi.

— Alors examine ceci, dis-je : dans ce qu’à présent on s’accorde à nommer “dissension interne ” , chaque fois que se produit quelque chose qui y ressemble, et qu’une cité se divise, si les deux parties dévastent réciproquement leurs champs et incendient réciproquement leurs maisons, on est d’avis que la dissension interne est désastreuse, et qu’aucun des deux camps n’aime la cité — sinon ils n’auraient jamais osé agresser celle qui est à la fois leur nourrice et leur mère ; ce qui semble par contre approprié, c’est pour les vainqueurs de saisir e les récoltes des vaincus, et de se pénétrer de l’idée qu’ils se réconcilieront et ne seront pas toujours en guerre. Oui, dit-il, une telle façon de penser caractérise des hommes bien plus doux que la précédente.

— Eh bien, dis-je. La cité que tu fondes, ne sera-t-elle pas grecque ?

— Si, il faut qu’elle le soit, dit-il.

— Par conséquent, les hommes y seront à la fois vaillants, et doux ?

— Oui, tout à fait.

— Mais ne seront-ils pas amis des Grecs ! Ne pense “ront-ils pas que la Grèce est leur famille, et ne partageront-ils pas en commun les mêmes réalités sacrées que les autres Grecs ?

— Si, certainement.

— Par conséquent ils considéreront le conflit avec les Grecs, 471 qui sont leurs proches, comme une “dissension interne ” , et ne le nommeront plus “guerre ” ?

— Non, en effet.

— Et ils se comporteront donc dans le conflit comme des gens destinés à se réconcilier ?

— Oui, certainement.

— C’est alors dans un esprit de bienveillance qu’ils modéreront leurs adversaires, sans les punir d’esclavage ni de destruction, en étant leurs modérateurs, non leurs ennemis.

— Oui, c’est dans cet esprit-là, dit-il.

— Par conséquent ils ne raseront pas non plus la Grèce, étant grecs eux-mêmes, ni n’incendieront les habitations, ni ne seront non plus d’accord pour considérer dans chaque cité tous les habitants comme leurs ennemis, aussi bien hommes que femmes et enfants, mais à chaque fois un petit nombre seulement, b les respnsable du conflit. Et pour tout ces raisons, ils ne consentiront pas à raser leur terre, dans l’idée que la plupart des gens sont leurs amis, ni à détruire les maisons, et ils ne prolongeront le conflit que jusqu’à ce que les responsables soient contraints, par les innocents qui souffrent, à en rendre justice.

— Pour ma part, dit-il, je suis d’accord que c’est ainsi que nos citoyens doivent se comporter envers leurs adversaires ; et se comporter envers les Barbares comme les Grecs se comportent à présent les uns envers les autres.

— Faut-il donc instituer aussi cette loi pour les gardiens : c ne pas raser la terre, ni incendier les maisons ?

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