De la magie

L’une est condamnée et maudite non seulement par la religion chrétienne, mais par toutes les lois, par tout Etat bien ordonné; c’est l’autre qu’approuvent et embrassent tous les savants, tous les peuples soucieux des choses célestes et divines. La première est la plus trompeuse des pratiques, la seconde est la plus profonde et la plus sainte philosophie. La première est stérile et vaine, la seconde ferme, digne de foi et inébranlable. Les adeptes de la première ont toujours agi en cachette, parce qu’elle tourne toujours à la honte et à la confusion des responsables; c’est dans l’autre que, depuis l’antiquité et presque toujours, on a cherché à s’illustrer et à obtenir la plus grande gloire dans le domaine des belles-lettres. A la première ne s’est jamais adonné personne qui fût versé en philosophie et désireux d’apprendre les arts nobles; pour apprendre la seconde, Pythagore, Empédocle, Démocrite, Platon ont traversé les mers et c’est elle qu’ils ont enseignée à leur retour, la tenant pour la principale des doctrines secrètes. Pas plus que sur des arguments rationnels, la première ne s’appuie sur des auteurs indiscutables; la seconde, comme anoblie par d’illustres parents, a deux auteurs principaux: Zalmoxis, qu’imita Abbaris l’Hyperboréen, et Zoroastre (non pas celui auquel vous songez peut-être, mais le fils d’Oromase). Si nous demandons à Platon ce qu’est leur magie à tous deux, il nous répondra dans l’Alcibiade : la magie de Zoroastre n’est rien d’autre que la science des choses divines, que les rois des Perses faisaient apprendre à leurs fils pour leur enseigner à gouverner leur Etat sur le modèle de l’Etat du monde. Dans le Charmide, il nous répondra que la magie de Zalmoxis est la médecine de l’âme, en ce sens qu’elle donne à l’âme la tempérance comme elle donne au corps la santé. Leurs traces ont été suivies ensuite par Charondas, Damigéron, Apollonius, Hostanès et Dardanus. Par Homère également, qui sous les voyages de son Ulysse a dissimulé cette sapience-là comme toutes les autres, ainsi que nous le démontrerons un jour dans notre Théologie poétique. Ont encore suivi ces traces Eudoxe et Hermippe, et presque tous ceux qui ont exploré les mystères pythagoriciens et platoniciens. Parmi les auteurs plus récents qui ont tâté de la magie, j’en retiens trois: l’Arabe al-Kindî, Roger Bacon et Guillaume de Paris. Plotin aussi la mentionne, quand il démontre que le mage est le serviteur et non l’artisan de la nature: en homme de très grand savoir, c’est à la seconde magie qu’il donne son approbation et son appui, l’autre lui paraissant tellement abominable qu’invité un jour à sacrifier aux mauvais démons, il déclara préférable de les voir venir à lui plutôt que d’aller lui-mème à eux; en quoi il avait raison. Car de mème que la première assujettit l’homme et l’aliène aux puissances mauvaises, de mème la seconde le rend souverain et maître de ces puissances. Enfin, la première ne peut se faire passer ni pour un art, ni pour une science; la seconde, pleine de mystères sublimes, s’attache à la contemplation la plus profonde des choses les plus secrètes et, en fin de compte, à la connaissance de la nature entière. Tirant pour ainsi dire de leurs retraites, pour les amener à la lumière, les vertus éparpillées et disséminées dans le monde par la faveur divine, elle opère moins des miracles qu’elle ne sert avec empressement la nature qui les accomplit. Après avoir sondé en profondeur l’harmonie de l’univers (que les Grecs appellent de manière plus expressive sympatheian), après avoir médité la connaissance mutuelle des natures, conférant à chaque chose ses charmes naturels ainsi que les siens propres (qu’on appelle les iynges magiques, ou incantations), elle met au grand jour, comme si elle en était l’auteur, les merveilles cachées dans les recoins du monde, dans le sein de la nature, dans les resserres et les cachettes de Dieu; et de mème que l’agriculteur marie les vignes aux ormeaux, de mème le mage marie la terre au ciel, c’est-à-dire les éléments inférieurs aux qualités et aux vertus des éléments supérieurs. De sorte que la première magie s’avère monstrueuse et nocive, autant que la seconde s’avère divine et salutaire. La raison principale en est que l’une, vendant l’homme aux ennemis de Dieu, le détourne de Dieu, tandis que l’autre l’incite à cette admiration des oeuvres divines qui est le résultat si assuré de la foi, de l’espérance et de la charité. Rien, en effet, ne pousse plus à la religion, au culte de Dieu, que la constante contemplation des merveilles divines; lorsque, grâce à cette magie naturelle dont il est ici question, nous les aurons bien passées en revue, mettant davantage d’ardeur à en vénérer et à en aimer l’artisan, nous serons forcés de chanter: «Les cieux sont emplis, toute la terre est pleine de la majesté de ta gloire».