Comme Poros, comme les logoi, le mythe déploie et déplie ce qui est concentré. Le langage mythique (Enéada III, 5, 9, 24-26) opère d’une double manière : il introduit un devenir dans ce qui est éternel, il sépare, en figures distinctes, des aspects qui coexistent dans une même réalité. Par exemple, le mythe du Banquet raconte une suite d’événements successifs : la naissance d’Aphrodite, le banquet des dieux, la venue de Poros dans le jardin de Zeus, son ivresse, son sommeil, l’accouplement de Pénia et de Poros. Et le même mythe distingue Zeus, Aphrodite, Poros, Pénia, le nectar, le jardin de Zeus, l’Amour. Or, comme on l’a entrevu par les exégèses développées par Plotin, le mythe veut seulement dire que l’amour de l’âme pour le bien est provoqué par la présence du logos venu de l’Esprit dans l’âme. Le mythe fait de cet éternel présent un récit et il solidifie, hypostasie, personnalise chaque aspect de l’âme : l’âme comme indétermination, c’est Pénia ; l’âme remplie par les logoi, c’est le jardin de Zeus ; le logos lui-même, c’est à la fois Poros et le nectar dont il est enivré. Ces différents aspects ne sont ontologiquement distincts que « par leur rang et leur puissance » (9, 26), par exemple le logos est supérieur en rang et en puissance à l’indétermination.
Ceci n’est pas d’ailleurs le propre de la pensée mythique, mais de tout discours, donc du discours rationnel (9, 26-28). Se déroulant dans le temps, il doit introduire un ordre temporel [245] dans des choses intemporelles, et une distinction entre des choses qui coexistent (cf. 38 (VI, 7), 3, 3 et 35, 28). Comme nous l’avons dit dans l’Introduction p. 23, tout discours, comparé à l’intuition de l’Esprit, est en quelque sorte mythique.
L’exégèse allégorique a donc deux aspects : la décomposition, c’est-à-dire l’opération qui consiste à identifier les différents éléments du mythe aux différents aspects des réalités ontologiques simples qu’il vise ; la recomposition, c’est-à-dire l’opération qui consiste à montrer comment les différents éléments distingués dans le mythe coexistent dans les réalités ontologiques signifiées par le mythe. Après que les mythes ont livré leur enseignement (9, 28), c’est-à-dire ont donné l’occasion de découvrir les aspects de la réalité qu’ils distinguent, il appartient à leur exégète de recomposer ce qui a été décomposé (9, 28-29), de réunir ce qui a été distingué. C’est cette recomposition (sunairesis) que Plotin va proposer dans les dernières lignes du traité.