Le Logos est chez Héraclite ce qui constitue, éclaire et exprime l’ordre et le cours du monde. Le logos d’Héraclite — le discours du penseur qui pense le monde — ne peut être saisi que si nous entrons en dialogue avec lui. Le logos fonde le discours et le dialogue, et anime la dialectique. Ce que nous appelons — avec beaucoup d’ambiguïté — dialectique, est le rythme du logos héraclitéen, et nous devons suivre ce rythme pour pouvoir entrer en dialogue avec Héraclite. La dialectique présuppose le logos, mais nous l’étudierons en premier lieu, parce qu’elle nous montre le chemin que suit la pensée de l’Ephésien : elle est une voie, une méthodos. La dialectique n’est cependant pas une simple démarche méthodique ; elle structure l’intuition qui appréhende la structure du monde. Elle s’offre à notre saisie quand nous épousons son rythme, et elle nous montre le mythe devenant logos. En elle la poésie de la vision et du verbe se rencontre avec la pensée du discours et de la saisie du monde. Aristote, pensant à la logique systématique et conceptuelle, considère Zénon l’Eléate comme le fondateur de la dialectique1. Mais c’est Hegel qui a compris, le premier, qu’Héraclite a saisi « la dialectique même comme principe »2. Avec son chapitre sur Héraclite, dans ses Cours sur l’histoire de la philosophie, Hegel commence le dialogue. Néanmoins, il traduit la pensée d’Héraclite dans le langage de sa logique dialectique et ontologique ; Hegel comprend Héraclite génialement, mais dans l’horizon de son idéalisme spéculatif. Il écrit qu’« Héraclite saisit maintenant l’absolu lui-même comme processus, comme dialectique… Chez lui nous rencontrons pour la première fois l’idée spéculative dans sa forme philosophique… Il est l’achèvement de la conscience antérieure, un achèvement de l’Idée vers la totalité (qui est le commencement de la philosophie), ou l’essence de l’idée, qui exprime l’infini, ce qu’il est… L’absolu est l’unité de l’être et du non-être… Le vrai, c’est le devenir et non l’être… L’entendement (Verstand) sépare l’être du non-être, la raison (Vernunft) reconnaît l’un dans l’autre… et ainsi le Tout, l’absolu, est à définir comme devenir… L’infini, l’être en et pour soi, est l’unité des contraires… Chez Héraclite, le moment de la négativité est immanent… Le temps est le devenir pur… le concept pur »3. Or, la dialectique héraclitéenne n’est pas conceptuelle. Elle met en œuvre une intuition fondamentale des contraires. C’est plus tard que va se construire la dialectique logique qui opère avec les oppositions des concepts et qui englobe la logique formelle de la non-contradiction dans la logique synthétique. Le dialogue qu’Héraclite entreprend avec le Monde s’exprime à travers des pensées qui sont de grandes équivalences.
C’est dans son Sophiste qu’Aristote déclarait Zénon d’Elée inventeur de la dialectique (d’après Diogène Laerce, IX, 25). ↩
Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie, Jubiläumsausgabe, T. I, 2« éd., Stuttgart, 1940, p. 344. ↩
Ibid., pp 344, 348-351, 354. ↩