Deux siècles avant l’époque du voyage du jeune Anacharsis, si ingénieusement supposé par l’abbé Barthelemy, la Grande-Grèce vit fleurir un homme extraordinaire, né dans l’Asie – Mineure, le plus étonnant peut-être des personnages célèbres de toute l’antiquité, comme il fut le plus illustre, le plus savant et le plus sage des voyageurs. Riche de tous les dons naturels, cultivés par la plus brillante éducation, cet Homme, que des philosophes même placèrent, dans l’échelle des êtres, entre Dieu et les autres hommes, parcourut les trois inondes, pour y puiser les sciences à leurs sources, et pour observer par lui-même les vertus et les vices des gouvernements populaires ou monarchiques. Initié aux plus profonds mystères des cultes, témoin des principales révolutions de son siècle, l’un des plus fertiles en événements, instruit par l’expérience des hommes et par l’étude de la nature, dont il surprit les plus beaux secrets, Pythagore soumit plusieurs villes de l’Italie au sceptre de la Raison. Il fit plus : il ouvrit une école de législateurs, et dicta des lois à ceux qui se proposaient d’en donner aux nations. Plein d’années laborieuses et de gloire pure, il mourut, laissant pour héritage un nom révéré, qu’on lit sur presque tous les feuillets des annales anciennes, et qui est venu jusqu’à nous, chargé de l’admiration des siècles, et du fiel de la calomnie.
Décrire les voyages de Pythagore, dans tous leurs détails, et rassembler ses lois, dont plusieurs sont encore aujourd’hui proverbes; en un mot, offrir, dans toute la vérité de l’histoire, le plus beau génie des temps reculés, défiguré par de pitoyables traditions, ou par des relations biographiques plus absurdes encore, c’est bien mériter de la philosophie et des lettres, des peuples et des hommes d’état c’est développer l’esprit de toute l’antiquité, que Pythagore remplit de son souvenir; c’est restaurer un temple auguste, dont les ruines éparses firent long-temps regretter l’ensemble que devait produire un aussi majestueux édifice.
Telle est la tâche que nous méditons depuis beaucoup d’années ; et voici l’analyse de ce monument littéraire, dont le sujet, qui commence vers 6oo avant Pète commune, embrasse l’espace d’un siècle entier.
On y trouvera la topographie de presque tout l’ancien monde, à la manière de Pausanias ; tantôt des recherches historiques, revêtues d’images et de caractères ; tantôt des fragments de la plus haute antiquité, rétablis, d’après le fil, et sur la concordance des traditions.
Quant à l’ensemble, Pythagore, toujours en scène, fournit la matière la plus riche et la plus relevée. Ce grand homme, qui fut artiste et poète, orateur et philosophe, magistrat et législateur, fit tout ce qu’on peut faire avec les armes du génie et de la vertu.
Nous représentons le Sage de Samos, retiré à Crotone, et profitant de quelques années de repos, pour rédiger ses nombreux voyages, sous la forme de leçons adressées à ceux de ses disciples initiés dans les profondeurs de son école.
On conçoit ce que doivent être les dernières leçons de Pythagore octogénaire. On doit y trouver les véritables motifs de ses actions, l’expression naïve de ses sentiment, l’exposé nu de sa doctrine secrète.
Pythagore commence par rendre un compte rapide de sa famille, de sa naissance, des goûts de son premier âge, de ses premières sensations, de ses habitudes,personnelle& . Il parle de ses instituteurs et de leurs méthodes, de ses études et de ses courses dans l’intérieur de sa patrie.
Pour le soustraire aux projets criminels de Polycrate, sur sa personne, on emmène Pythagore à Scyros, auprès de Phérécyde. Après avoir vu Éphèse, il va consulter Bias à Prienne, Thalès à Milet. Il ne fait que passer dans Halicarnasse, et s’arrête davantage à Cypre, dont il décrit les usages. Il revoit Sidon, son lieu natal, et converse avec l’Hiérophante, successeur du vieux Moschus, père des Atomes. Il assiste au deuil d’Adonis, dans Byblos, et s’instruit des origines phéniciennes, à Tyr.
Là, il s’embarque pour l’Égypte. Les prêtres d’Héliopolis le renvoyent à ceux de Memphis qui, à leur tour, l’adressent aux pontifes de la grande Thèbes, où sa persévérance lui mérite les honneurs de l’initiation, Pythagore remonte le Nil, et parvient jusqu’en Éthiopie, pour entendre les Gymnosophistes de Méroë.
De retour à Memphis, il est témoin de la mort du roi et de son jugement. L’Égypte, envahie par Cambyse; le conquérant enveloppe Pythagore parmi les prisonniers: Le Sage de Samos visite le Carmel, le mont Liban, descend l’Euphrate. Il veut tout voir, et partout il donne déjà l’exemple du silence, qui doit servir de base à sa philosophie. A Orchoë, les Chaldéens le dédommagent des scandales de Babylone. Cependant il remonte à la tour de Bélus, où Zoroastre le met dans la confidence de sa grande réforme. Tous deux se transportent à Suse, puis à Persépolis, pour y voir le couronnement de Darius, et les dernières funérailles de Cyrus, à Persagarde. Pythagore accompagne les mages dans Ecbatane; ils l’admettent dans une députation chez les Brachmanes de l’Inde. Là, il puise à longs traits la doctrine du Gange. Il s’en retourne par la Trapobane, et aborde en Crète, où il s’entretient avec Épiménide, sur le mont Ida. Il séjourne quelque peu à Rhodes, chez Cléotule, et rentre dans Samos. Le poëte de Théos y chantait les plaisirs de la cour de Polycràte. Anacréon et Pythagore sont aux prises. Révolution de Samos ; fin déplorable du prince.
Nôtre Sage s’expatrie pour jamais. Il parcourt les Cyclades; poursuit son itinéraire jusqu’à la Samothrace; mouille à Cythère, et se trouve à Sparte.
Dans cette ville, Chilon lui parle des lois de Lycurgue et des moeurs lacédémoniennes. Ils vont ensemble aux jeux olympiques. Pythagore y entend la première tragédie qu’y récite Thespis. Les Grecs veulent l’entendre à son tour. Il leur déroule le tableau historique du genre humain jusqu’à lui, et peint à grands traits les principaux législateurs des nations, Prométhée, Thaut, Orphée, Minus, Lycurgue, Dracon, Numa, etc.
De l’Élide, il passe en Arcadie ; puis à Phliunte, où il prend à la cour de Léon, le titre modeste de philosophe. II visite Corinthe, Mégare, est reçu aux mystères d’Éleusis, et se montre dans Athènes, à l’époque de la conjuration d’Harmodius.
Pythagore part pour la Béotie; voit la seconde Thèbes, et s’achemine vers Delphes, où il confère avec la grande prêtresse de l’oracle..
Avant de quitter la Grèce, il fait un coup d’éclat à Tithorée; se rembarque à Naupacte ; touche à Corcyre, et prend terre à Syracuse. Phalaris et Pythagore se mesurent. Révolution de la Sicile.
Notre Sage continue l’examen de cette île. Il assiste aux solennités de Vénus, sur le mont Érix; fait route à Panorme; traverse les plaines d’Enna jusqu’à Centuripe, où il convertit le despote Syinmichus à la philosophie. Du sommet de l’Ethna, il redescend à Catane, où Charondas s’attache à lui, comme avait fait déjà le jeune Abaris. Pythagore franchit le détroit de Carybde, et se trouve au pied des Apennins. Il passe à Rhégium, à Locres. Il est chez les Étrusques; il visite leurs manufactures de vases et leurs monuments, il monte sur le Vésuve. Il entre dans Herculanum, puis dans l’antre de la Sibylle, à Cumes : elle est mourante. Il accompagne celle qui lui succède jusqu’à Rome, ou elle porte les livres Sibyllins. Il gémit, en passant, sur les ruines encore fumantes d’Albe.
A peine arrivé au palais de Tarquin, il devient le spectateur d’une grande révolution : le passage des Romains du régime d’un seul à celui de plusieurs. Entretien de Junius Brutus et de Pythagore.
Notre illustre Saurien accompagne les ambassadeurs de la république de Rome à Carthage, en Sardaigne, en Corse, enfin à Marseille. Le premier de ses élèves, Abaris, jeune Hyperboréen, lui sert de guide dans les Gaules, qu’il traverse jusqu’à la forêt des Carnutes (Chartres) là, il s’abouche avec les Druides. Le fils de l’un d’eux, Zamoixis, se donne à lui. Pythagore prolonge ses courses sur les rives de la Seine, et fixe à Lutèce (Paris) le terme de ses voyages.
Abaris le ramène en Italie, par les Alpes. Pyhagore, avec ses trois disciples, parcourt le pays des Sabins, qu’il a peine à quitter, pour s’établir enfin à Crotone. Il y prend femme, devient père, et fonde une école. Il se dérobe un moment à sa renommée, pour rendre les derniers devoirs à son ancien maître Phérécyde, expirant à Délos.
De retour, il se livre tout entier à la réforme des moeurs et de la législation de Crotone, de Tarente et des autres villes de la Grande-Grèce, et y remplit en même temps les fonctions de magistrat et d’instituteur.
Le personnage de l’antiquité, sur lequel les chronologistes s’accordent le moins, est Pythagore. J’en ai profité, pour rapprocher certains événements; et la longévité de mon héros semblait s’y prêter. Cependant, je n’ai rien pris sur moi, m’étant prescrit la règle de ne point faire un pas, sans avoir mes garants; ce qui nécessite des citations assez fréquentes, au bas des pages, et une nomenclature justificative, à la fin du cinquième volume.
Le sixième et dernier est le répertoire des lois de Pythagore, on sorties de son école, jusqu’à présent disséminées, et comme perdues parmi les ruines savantes de l’antiquité. Elles paraissent ici rassemblées pour la première fois. Familiarisés avec le génie de Pythagore, nous avons pris à tâche de conserver à ses lois leur caractère antique, et cette teinte mystérieuse, que le réformateur de la Grande-Grèce aimait à répandre sur ses moindres paroles.