Dans les livres III, Tratado-28|IV et Tratado-29|V, Plotin pose et résout successivement diverses questions sur la nature, les facultés et la destinée de l’âme; sans suivre l’ordre méthodique qu’il eût sans doute adopté s’il eût voulu faire un traité complet de Psychologie.
INTRODUCTION. (I) La connaissance de l’âme est la condition de la connaissance des principes dont elle procède et des choses dont elle est elle-même le principe. D’ailleurs, on ne peut posséder réellement la science si l’on ne sait ce qu’est l’instrument même de la science.
PREMIÈRE QUESTION. Toutes les âmes ne sont-elles que des parties d’une seule Âme ?
Il est des philosophes qui soutiennent que nos âmes sont des parties d’une Âme totale et unique, de même que nos corps sont des parties du corps de l’univers. Ils invoquent à l’appui de leur opinion divers passages de Platon.
(II-III) De ce que nos âmes sont conformes et appartiennent au même genre, il en résulte, non qu’elles soient les parties d’une Âme unique, mais qu’elles procèdent d’un même principe. — Le mot partie ne peut se prendre ici dans le sens où on l’applique à une quantité, parce que dans ce cas l’Âme serait une grandeur corporelle. – Le mot partie ne peut davantage se prendre ici dans le sens où l’on dit qu’une notion est une partie d’une science : car ou l’Âme totale ne serait que la somme des âmes particulières, ou elle leur serait supérieure, ce qui détruit l’hypothèse combattue. – Le mot partie ne peut enfin se prendre ici dans le sens où l’on dit que la puissance sensitive qui est dans les doigts est une partie de l’âme totale de l’animal : car, dans ce cas, il n’y aurait plus d’existence réelle que celle de l’Âme universelle, par conséquent, il n’y aurait plus de parties.
(IV) Voici la solution. – Les intelligences particulières sont distinctes les unes des autres, et subsistent cependant toutes ensemble dans l’Intelligence universelle. De cette Essence indivisible procèdent à la fois l’Âme universelle et les âmes particulières, qui, semblables à des rayons de lumière, divergent à mesure qu’elles s’éloignent de leur foyer.
(V) L’individualité des âmes est indestructible. Comme les intelligences particulières dont elles sont les raisons, les âmes particulières conservent toujours leur différence et leur identité : elles s’unissent, sans se confondre, dans le sein de l’Âme universelle dont elles procèdent.
(VI-VII) L’Âme universelle, contemplant l’Intelligence universelle, a plus de puissance créatrice que les âmes particulières qui contemplent les intelligences particulières: celles-ci occupent d’ailleurs le premier, le deuxième ou le troisième rang, selon qu’elles sont en acte les intelligibles mêmes, ou qu’elles les connaissent ou qu’elles les désirent. Les passages qu’on cite de Platon sont conformes à la distinction de l’Âme universelle et des âmes particulières.
(VIII) Les âmes sont distinguées les unes des autres, abstraction faite des corps, par leurs opérations intellectuelles et leurs habitudes morales. Chaque âme est toutes choses en puissance, mais n’est en acte que ce qui occupe son attention, par conséquent, elle est caractérisée par la faculté qu’elle a principalement développée. Chacune enfin offre en elle unité et variété, et est coordonnée avec les autres dans l’unité et la variété de l’univers.
DEUXIÈME QUESTION. Pour quelle cause et de quelle manière l’âme descend-elle dans le corps ? Il faut distinguer ici l’Âme universelle et l’âme humaine.
(IX-XI) L’Âme universelle n’est pas descendue dans le monde; mais, par sa procession, elle a produit l’espace, en engendrant à la fois la matière et la forme. Elle a ainsi déterminé, selon son essence propre, l’étendue que le monde occupe : car elle l’a engendré et ordonné de tout temps, non par choix ni par délibération, mais en vertu de sa nature. Étant souverainement maîtresse de la matière, elle l’a façonnée par les raisons séminales, et elle a fait participer tous les êtres à la vie qu’elle possède elle-même. Son rôle est en effet de transmettre à la Nature les idées qu’elle contemple dans l’intelligence divine; elle en est l’interprète: c’est par elle que tout descend du monde intelligible dans le monde sensible, c’est par elle que tout y remonte.
(XII-XIII) Les âmes humaines viennent à s’unir à des corps parce qu’elles y voient leur image. Elles descendent du monde intelligible et y remontent à des époques qui sont déterminées par les périodes de la vie universelle, avec laquelle elles sont toujours dans un accord parfait. Elles viennent ici-bas par un mouvement qui n’est ni complètement libre, ni soumis à une contrainte extérieure : elles obéissent à l’impulsion irrésistible d’une loi qu’elles ont naturellement en elles-mêmes et qui les porte à se rendre où les appelle leur destinée.
(XIV) Pandore, dotée d’un présent par chaque dieu, représente la matière qui, recevant de l’Âme ou de la Providence la vie universelle, et de chaque âme une vie particulière, devient le tout complet et harmonieux qu’on appelle le monde (kosmos).
(XV-XVII) En quittant le monde intelligible, les âmes descendent d’abord dans le ciel; elles s’y fixent et y prennent un corps éthéré, ou bien elles passent de là dans des corps terrestres. Si elles s’attachent étroitement à ces corps terrestres, elles tombent sous l’empire du Destin. Tout ce qui leur arrive, soit en bien, soit en mal, rentre dans l’ordre de l’univers et dérive du principe de convenance qui y préside.
TROISIÈME QUESTION. L’âme fait-elle usage de la Raison discursive quand elle est hors du corps ?
(XVIII) Le Raisonnement est une opération propre à l’âme dont l’intelligence est affaiblie par son union avec un corps. Quand l’âme est dans le monde intelligible, elle connaît tout par une simple intuition, sans le secours de la Raison discursive ni de la parole.
QUATRIÈME QUESTION. Comment l’âme est-elle à la fois divisible et indivisible ?
(XIX) L’âme est indivisible en elle-même, quand elle produit les opérations qui relèvent de la Raison et de l’Intelligence; elle est divisible par son rapport avec le corps, quand elle exerce les Sens, la Concupiscence, la Colère, la Puissance végétative et nutritive, parce qu’elle a dans ce cas besoin des organes.
CINQUIÈME QUESTION. Quels sont les rapports de l’âme avec le corps ?
(XX-XXIII) L’âme n’est pas dans le corps comme dans un lieu ou dans un vase, ni comme la qualité dans le sujet, ni comme la partie dans le tout, ni comme le tout dans les parties, ni comme la forme dans la matière : c’est au contraire le corps qui est contenu dans l’âme, comme l’effet passager dans la cause permanente. La comparaison de l’âme avec un pilote n’est pas non plus complètement satisfaisante. Il faut dire que l’âme est présente au corps comme la lumière est présente à l’air, c’est-à-dire que l’âme communique à chaque organe la puissance qui a besoin de le mettre en jeu pour produire ses opérations.
SIXIÈME QUESTION. Où va l’âme après la mort ?
(XXIV) Après la mort, l’âme va dans le lieu que lui destine la justice divine : dans un autre corps, si elle a des fautes à expier; dans le monde intelligible, si elle est pure.
SEPTIÈME QUESTION. Quelles sont les conditions de l’exercice de la Mémoire et de l’Imagination ?
(XXV-XXVI) Étant la représentation d’une notion adventice et passagère, le souvenir implique variété, succession; par là, il est une opération moins parfaite que la pensée, acte simple et immanent, qui ne s’attache qu’à l’immuable et à l’éternel. D’un autre côté, le souvenir est supérieur à la sensation : car il n’a pas comme elle besoin des organes, parce qu’il se borne à reproduire la forme intelligible qu’elle a perçue.
(XXVII-XXXII) Il y a deux espèces de mémoire, la mémoire sensible et la mémoire intellectuelle : la première appartient à l’âme irraisonnable ; la seconde, à l’âme raisonnable. L’une et l’autre ont pour principe l’imagination : d’un côté, quand la sensation a été perçue, l’imagination en garde la représentation, dont la conservation constitue le souvenir ; d’un autre côté, la conception rationnelle accompagne toujours la pensée, et elle la transmet à l’imagination qui la réfléchit comme un miroir. Par là, elle fait arriver dans notre conscience et rester dans notre mémoire les actes de la partie supérieure de notre âme. Il y a ainsi deux espèces d’imagination, qui correspondent aux deux espèces de mémoire, l’imagination sensible et l’imagination intellectuelle : la première est subordonnée à la seconde : car, dans l’âme irraisonnable, le souvenir est une passion; dans l’âme raisonnable, un acte. Plus on s’applique à la pensée des choses intelligibles, moins on doit se rappeler les choses inférieures.