Il y a tout d’abord l’âme, identifiée à Aphrodite (9, 30-33), plus exactement à Aphrodite et à Héra, parce qu’elle est à la fois l’épouse (9, 30) et la fille (9, 30) de l’Esprit, entendons bien de l’Esprit de l’âme du monde, c’est-à-dire de Zeus. Elle est remplie des logoi, c’est-à-dire de ce qui s’écoule de l’Esprit dans l’âme (il est possible, comme nous l’avons dit dans l’Introduction p. 72, qu’il y ait ici une métaphore sexuelle et un souvenir des logoi qui s’écoulent de Zeus à Héra, dans la théologie allégorique des stoïciens). Dans la perspective du mythe du Banquet, ces logoi sont représentés par Poros, enivré [246] de nectar, qui vient dans le jardin de Zeus, c’est-à-dire dans l’âme qui reçoit la splendeur des logoi. C’est pourquoi l’âme est belle (9, 31) comme Aphrodite (cf. 31 (V, 8), 13, 16) ; sa beauté vient des images (9, 31) des Formes, qui sont les logoi. De Poros, c’est-à-dire du logos, somme de tous les logoi, elle reçoit l’euporia, la richesse et l’abondance.
Autour de l’âme se groupent donc les images de Poros et de son ivresse, du nectar, du jardin de Zeus et du banquet des dieux. Poros correspond à l’état d’euporia, de richesse et d’abondance de l’âme, lorsque le nectar, c’est-à-dire les logoi, s’écoule du monde intelligible (9, 34-35).
Le jardin de Zeus (9, 35-36) représente aussi le même état de l’âme : l’âme parée de ses splendeurs, c’est-à-dire des logoi. Si Platon parle d’un jardin (rempli de plantes vivantes), c’est que les logoi eux-mêmes se trouvent dans l’âme, c’est-à-dire dans la vie, et sont donc eux-mêmes vivants.
Poros dort, appesanti par l’ivresse dans ce jardin (9, 36-37). Plotin ne répète pas ici l’exégèse qu’il a donnée de l’ivresse de Poros. Elle représente le fait que l’âme reçoit les logoi qui viennent de l’Esprit, donc de l’extérieur, à la différence de l’Esprit qui tient sa richesse de lui-même (cf. 9, 3-6 et 9, 16-23). Il est possible que la mention du sommeil de Poros signifie aussi que les logoi sont en puissance dans l’âme et qu’il appartient à l’âme de les actuer.
Enfin, un dernier détail du mythe concerne, si l’on peut dire, la sphère de l’âme : à sa naissance (c’est-à-dire en fait métaphysiquement : à cause de son éternelle existence, puisque ce sont seulement les mythes qui parlent de naissances pour les choses éternelles), les dieux festoient (9, 37-39), ce qui signifie, dans l’interprétation allégorique, qu’ils sont dans une grande béatitude (9, 39), à cause du fait que la vie, c’est-à-dire l’âme, existe éternellement. Si l’on compare les présentes expressions avec la formule du traité 51 (I, 8), 2, 25 : « telle est la vie impassible et bienheureuse des dieux », on pourra supposer que Plotin pense à une expression analogue qui se trouve dans le Phèdre (248 a 1) : « Telle est la vie des dieux », qui vient à la suite du développement (246 e-247 e) dans lequel Platon décrit la procession des dieux suivant le char de Zeus, [247] allant au festin, au banquet (pros daita kai epi thoinén, 247 a 8). Plotin lui-même fera allusion à cette procession en 31 (V, 8), 10, 1, où il parlera des dieux, des démons, des âmes, qui suivent Zeus (c’est-à-dire l’âme du monde et peut-être même l’Esprit de l’âme du monde) et contemplent le Beau. Plotin, en liant ensemble le bonheur des dieux et la vie ou l’âme, veut peut-être faire allusion à cette procession des dieux à la suite de l’âme du monde.