ἀγαθόν, « un bien », relatif, sensible, qui, en tant que tel, ne peut être reçu par l’âme essentielle, ou séparée (2, 24), peut être l’objet de la doxa et susciter (mais pas nécessairement) le désir de l’« ensemble » (koinon, 91) (5, 20) ; à distinguer du Bien, principiel et absolu, dont le désir doit être attribué non à l’ensemble mais à l’âme séparée (5, 27). (Aubry53)
Le traité 39 (VI, 8) dit très clairement : « Le Bien, pour sa part, sa nature est d’être le désirable en soi » 7, 3-4. La beauté qui est elle aussi désirée va donc apparaître dans la suite du traité comme un moyen pour accéder au bien. Plotino – Tratado 1 (I,6) – Sobre o belo (estrutura)
Le beau est placé devant le bien ; le traité 38 (VI, 7) développera le problème du rapport de l’Un à l’Être à partir de la notion de « grâce » (voir chap. 22 et le commentaire de P. Hadot, Traité 38, p. 289-293) le bien embellit les Formes selon une autre modalité que l’embellissement du sensible par la participation aux Formes. Il y a une trace de l’indétermination même de l’Un sur les intelligibles, et c’est cela qui les rend aimables et beaux. Les Formes ne sauraient, en effet, participer à un contenu ontologique qui leur serait supérieur puisqu’il n’y en a pas. L’Un est « au-delà de la réalité » (République, VI, 509b9). Le traité 32 affirme « La saisie et l’admiration du beau n’ont lieu en quelque sorte que pour ceux qui savent et sont éveillés ; c’est cela l’éveil de l’amour. Le Bien, quant à lui, est là depuis longtemps, naturellement offert au désir, il est présent même pour ceux qui dorment » (V, 5), 12, 9-12. Plotino – Tratado 1,9 (I,6,9) – A alma torna-se integralmente luz
La phrase (Tratado 38, 6-9) peut s’interpréter de deux manières différentes. La première interprétation (Bréhier, H.-S.) comprend que Plotin a voulu montrer que les platoniciens veulent sauvegarder à un tel point l’unité absolue du Bien, qu’ils appellent le Bien non pas to agathon, mais tagathon, en un seul mot. Ils n’admettent devant «Bien» ni le verbe «être» (il est «Bien») ni même l’article séparé de peur que l’on pense que l’article est autre chose que le Bien (38, 8). Mais s’ils supprimaient totalement l’article (auto, de 38, 8), on ne pourrait plus désigner «le» Bien, il deviendrait une notion indéfinie. C’est pourquoi ils emploient la crase tagathon: «le-Bien».
Cette interprétation présente une difficulté. Il n’est pas exact que les platoniciens refusent l’article séparé devant agathon. Plotin emploie aussi bien la forme to agathon que tagathon. Plotin veut-il dire qu’il faudrait toujours employer tagathon ? Cela n’est pas sûr.
L’autre interprétation est, pour le fond, celle de Ficin, Cilento, et Theiler. Plotin commence (38, 6) par rappeler ce qu’il a dit dans la phrase précédente à propos du terme «Bien»: «Bien» n’est pas un prédicat qui appartiendrait au Bien (38, 5). On ne peut donc pas dire: «Il est Bien.» On ne peut pas dire non plus: «Il est le Bien» (donc exclusion de l’article), car ce serait prétendre le «dire», exprimer son essence (38,4-5). Autrement dit, on ne peut pas mettre l’article devant «Bien» dans une phrase comportant le verbe «être». Mais on ne peut quand même pas supprimer aussi le mot agathon, le mot «Bien» (auto de 38, 8 désigne le Bien), sans cela on ne pourrait plus désigner la réalité en question (38,8). Les platoniciens disent donc «le Bien» (tagathon, mais la crase n’est pas visée par Plotin, on pourrait aussi bien dire to agathon), sans avoir besoin d’ajouter «est». La partie de la phrase 38, 8 : «pour éviter que nous fassions de lui, tantôt une chose, tantôt une autre» peut s’interpréter de deux manières. Elle peut signifier (Ficin) qu’il faut bien nommer ce dont on parle: «Le Bien», afin d’éviter que nous, les hommes, identifions le principe suprême avec telle chose, ou avec telle autre, que nous le fassions une chose ou une autre. Elle peut signifier aussi (c’est l’interprétation de Theiler et Cilento) qu’il faut écarter l’emploi du verbe «être», pour ne pas faire du Bien, une chose, du verbe «être», une autre chose. Mais en fait Plotin ne dit plus ici qu’il faut écarter l’emploi du verbe «être», mais il tient pour acquis, à partir des raisonnements antérieurs, que l’on n’a plus besoin du verbe «être» (38, 9). Il est donc peu probable que le danger redouté dans la ligne 38, 8 se rapporte à l’emploi du verbe «être», mais il est plus vraisemblable qu’il se rapporte à la représentation du Bien. C’est donc finalement à l’interprétation de Ficin que nous nous rallions, c’est-à-dire: d’une part auto de 38, 8 désigne la dénomination «Bien» et non l’article to, et, d’autre part, en 38, 8 aussi, allô et allô se rapportent aux diverses représentations du Bien s’il n’était pas nommé Bien. (Il faut noter que le texte grec retenu par Ficin ignorait le second to de la ligne 38, 7.) (Hadot38)