symbolon

Excertos de Jean Borella, “Le mystère du signe”

On rencontre chez Platon un texte tout à fait remarquable où le sens le plus fondamental de symbolon se trouve utilisé dans une perspective à la fois mystique et métaphysique. Il s’agit d’un passage du Banquet (191d) dans lequel Platon fait dire à Aristophane les paroles suivantes : « Chacun de nous est donc un symbole d’homme (anthropou symbolon), étant donné que nous sommes coupés à la façon des limandes ; d’un être il en vient deux. C’est pourquoi chacun cherche toujours son propre symbole»1. Platon utilise donc le mot symbolon en un sens… symbolique, c’est-à-dire en transposant le sens premier (et donc aussi en le confirmant). C’est pourquoi le savant docteur Guigniaut peut écrire dans sa dissertation : « Le sens primitif, l’idée la plus simple du mot symbole, c’est : une chose composée de deux. De là vient que les deux moitiés d’une tablette brisée par deux personnes qui contractaient ensemble un lien d’hospitalité, conformément à l’antique usage, s’appelaient des symboles (symbola, symbolaia, tesserae hospitales), et ces symboles étaient soigneusement gardés par chacune des parties contractantes comme un gage de leur mutuel contrat. (…) Peu à peu le mot en vint à désigner toute espèce de gage (…), tout signe de reconnaissance, tout mot d’ordre (tesserae militares), toute parole convenue, (…) ; l’anneau nuptial (…). Bientôt même symbole exprime le signe par opposition à la chose signifiée. L’usage des anciens classiques de la Grèce introduisant le symbole dans la sphère de la religion, le conduit à exprimer ces sortes de relation entre les hommes et les dieux qui ne sont pas susceptibles d’être expliquées, mais seulement interprétées. (…) Ce mot, dans la religion populaire, s’applique à diverses parties du culte des dieux; mais il a des rapports plus intimes avec la doctrine secrète et le culte supérieur, pratiqué dans les mystères. Différents emblèmes et différentes formules employés par les initiés, les mots d’ordre et les signes au moyen desquels ils se reconnaissaient entre eux, toutes les choses de ce genre portaient le nom de symboles ou un nom analogue »2.


  1. On traduit ordinairement : « chacun de nous est donc la moitié complémentaire d’un homme, qui, coupé comme il l’a été, ressemble à un carrelet : un être unique dont on a fait deux êtres », Robin, Oeuvres complètes de Platon, Pléiade, t I, p. 719 (Robin a omis de traduire : Zèteï dè aeï to hautou hékastos symbolon). N’en déplaise à R Alleau, le même emploi de symbolon au sens de moitié complémentaire se rencontre également chez Aristote, De la Génération et de la corruption, H, 4, 331a, 23-24, Tricot, Vrin, 1951, p. 109, n. 1 : « Aristote entend par symbola (symboles, tesserae) des facteurs complémentaires ; par exemple, le chaud de l’air, peut, avec le sec, constituer le feu, et le chaud du feu peut, avec l’humide, constituer l’air : le chaud de l’air et du feu sont des symbola ». 

  2. Op. cit., pp. 530-533.