Vieillard-Baron (1988:32-34) – mundo, espelho sem reflexo

Si le monde est le miroir de l’homme, si le macrocosme est le reflet du microcosme, une juste compréhension de l’homme est impliquée dans une juste théorie du monde. Du point de vue ontologique, la réflexion du microcosme dans l’univers qui est son miroir manifeste chez More et Cudworth la prééminence de l’homme sur le monde, en raison de sa liberté et de son universalité, qu’avait déjà soulignées Pic de la Mirandole dans son Discours sur la Liberté et dans son Heptaplus. Mais du point de vue de la connaissance, l’image du miroir signifie que l’homme peut se connaître lui-même par l’intermédiaire du monde. Cudworth explique bien que l’intuition centrale de son Système intellectuel du monde est celle de la liberté humaine, qu’il entend aborder d’abord par la voie extérieure, c’est-à-dire en posant la question ” La nécessité du monde est-elle absolue ? “. De même, dans son Manuel de Métaphysique, Henry More propose quinze démonstrations différentes de l’existence des réalités spirituelles, à partir de phénomènes naturels, la marée, le poids, la lumière, etc., alors qu’il n’en propose que quatre à partir de réalités humaines.

La démarche commune à More et à Cudworth est d’abord la réfutation de l’erreur. Car si le monde est un miroir, il peut être un miroir sans reflet, il peut présenter une image vide. Cudworth dit très bien que ” nulle image ne peut apparaître dans le miroir, si le vrai visage n’est pas là “. C’est ce qui se passe dans la physique matérialiste de Hobbes et dans la physique mécaniste de Descartes. Le monde n’est plus alors un macrocosme, non parce que l’on entre dans un nouveau système de représentation, dans une nouvelle rationalité fondée sur la causalité et non sur l’analogie, mais parce que le monde de la nécessité et de la matière est absolument étranger à l’homme, qui n’y voit plus qu’un champ à conquérir et à maîtriser.

Cudworth s’attaque davantage au matérialisme dont il trouvait la trace dans l’Antiquité, chez Démocrite tel que la tradition nous l’a dépeint, chez les Stoïciens et chez Straton de Lampsaque. Son souci est de montrer que la liaison entre l’atomisme et l’athéisme n’est pas une liaison nécessaire. Si l’atomisme a fait figure d’athéisme, c’est non parce qu’il concevait la matière comme agrégat d’atomes, mais parce qu’il appliquait à ces atomes matériels une nécessité absolue. Or la nécessité, si elle est portée à l’absolu, devient une fatalité qui interdit à l’homme la liberté ; on pourra appeler cette fatalité aussi bien le hasard que la nécessité, selon qu’on ignorera ou que l’on connaîtra la raison des choses. L’erreur des atomistes, Leucippe et Démocrite, est d’avoir érigé une juste conception de la matière en théorie globale de l’homme et du monde, ployés sous la fatalité qui exclut l’existence de Dieu. Mais Cudworth reprend à son compte la thèse de la structure atomique de la matière, et Henry More la comprend comme l’ ” abîme des monades physiques “, chaque atome matériel étant à ses yeux une monade spirituelle déchue.

Henry More, dont on connaît la correspondance avec Descartes, est surtout opposé au mécanisme : ” O philosophie mécanique, plus crédule et plus sotte que toute supersitition ! ” s’écrie-t-il dans la Préface au Lecteur du Manuel de Métaphysique, texte qui est une véritable attaque en règle du cartésianisme. Pour More, cette conception de l’univers comme une grande machine, en assimilant la matière et l’étendue, rend impossible toute compréhension de la création du monde, et de la vie dans le monde. S’il n’y a dans le monde que des causes mécaniques, alors le monde est étranger à Dieu qui ne peut le créer. Leibniz va plus loin encore lorsqu’il assimile tout simplement Descartes à Démocrite, disant que le Dieu de Descartes n’est autre que ” la nécessité de la matière, ou plutôt ce principe de la nécessité, agissant dans la matière comme il peut “. Pour Henry More, le cartésianisme est une ” philosophie matériolâtrique “, incapable de percevoir l’irréductibilité du phénomène de la vie.

La référence à la corrélation du microcosme et du macrocosme ne représente donc par un archaïsme, un retour à l’animisme ou a des analogies faciles. Fidèle à son origine platonicienne, elle signifie d’abord le privilège de l’homme sur le monde, la supériorité de la totalité humaine sur la totalité cosmique. Mais les platoniciens de Cambridge apportent leur conception de la liberté, conception moderne, étrangère à la pensée grecque. Ni l’univers mécaniste, ni l’univers matérialiste ne peuvent refléter cette liberté qui n’appartient qu’à l’homme.

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