PREMIÈRE QUESTION. Quelles sont les âmes qui font usage de la Mémoire et de l’Imagination, et quelles sont les choses dont elles se souviennent ?
(I-II) Quand l’âme s’élève au monde intelligible, elle n’exerce plus la mémoire, parce que cette faculté se rapporte aux choses temporaires et que le monde intelligible ne renferme que des essences éternelles, entre lesquelles il n’existe d’autre distinction que celle de l’ordre. Tout entière à la contemplation de ces essences, l’âme ne fait point de retour sur elle-même ; mais elle se voit dans son principe, parce qu’en le pensant elle se pense elle-même en vertu de l’intuition qu’elle a de toutes choses.
(III-IV) Quand l’âme redescend du monde intelligible aux choses sensibles, elle se souvient de ces dernières et elle a conscience d’elle-même : car la mémoire ne consiste pas seulement à se rappeler ce qu’on a vu ou éprouvé, mais encore à être dans une disposition conforme à la nature de ce qu’on se rappelle.
(V) L’âme se représente les intelligibles plutôt par une intuition que par un souvenir. La mémoire proprement dite ne s’exerce dans l’âme que quand elle redescend du monde intelligible dans le ciel. Là, elle se rappelle les choses humaines et elle reconnaît les âmes avec lesquelles elle a été liée jadis.
DEUXIÈME QUESTION. Les âmes des astres et l’Âme universelle ont-elles besoin de la Mémoire et du Raisonnement, ou se bornent-elles à contempler l’Intelligence suprême ?
(VI-VIII) Étant propre aux âmes qui changent, la mémoire ne convient pas aux âmes des astres, parce que celles-ci vivent d’une existence uniforme et identique. La contemplation de l’Intelligence suprême leur rend inutile la connaissance des choses particulières.
(IX-XII) Jupiter (l’Âme universelle) n’a pas besoin de la mémoire ni de la raison discursive : pour administrer le monde et y faire régner l’ordre, il lui suffit de contempler la Sagesse divine dont cet ordre est l’image ; il produit les choses muables chacune dans son temps, tout en restant lui-même immuable ; il connaît le futur comme le présent, parce qu’il en est le principe.
(XIII-XIV) Il en est de même de la Nature, parce qu’elle possède le dernier degré de la Sagesse propre à l’Âme universelle. N’ayant ni la pensée ni même l’imagination, elle imprime aveuglément à la matière les formes qu’elle reçoit des principes supérieurs. A la Nature finit l’ordre des essences. Après elle viennent immédiatement les corps qu’elle engendre, c’est-à-dire les éléments.
(XV-XVI) Quoique les choses engendrées soient toutes dans le temps, l’essence de l’Âme universelle est éternelle : c’est que la distinction du passé, du présent et de l’avenir ne s’applique qu’à ses œuvres, qui varient sans cesse, tandis qu’elle-même possède à la fois toutes les raisons séminales qu’elle réalise successivement.
TROISIÈME QUESTION. Quelles sont les différences intellectuelles entre l’Âme universelle, les âmes des Astres, l’Âme de la Terre et les âmes humaines ?
(XVIII) L’âme humaine ne peut, comme l’Âme universelle, jouir de l’exercice calme et uniforme de la pensée, parce qu’elle est troublée par les besoins et les passions qui naissent de l’union de l’âme avec le corps.
Quelles sont les facultés dont l’exercice dépend de l’union de l’âme et du corps ? — Voici quelles sont les lois qui président à l’influence que l’état du corps exerce sur celui de l’âme.
1° Appétit concupiscible. (XIX-XXI) Le corps reçoit de l’âme la force vitale appelée nature : en vertu de cette force vitale, il éprouve des passions, c’est-à-dire des impressions et des modifications physiques, que l’âme connaît, mais ne partage point. En effet, quand un organe souffre, c’est le corps qui pâtit par le fait de la lésion, tandis que l’âme se borne à sentir, c’est-à-dire à prendre connaissance de la douleur. Par là s’explique l’origine de l’Appétit concupiscible : indifférente par elle-même aux propriétés des objets extérieurs, l’âme les recherche ou les fuit à cause du corps auquel elle est unie.
2° Sensations. (XXII-XXVII) Pour comprendre ce que peut être dans la Terre et dans les végétaux la puissance que nous appelons nature dans notre âme, il faut examiner quelles sont les conditions de la sensation.
Sentir, c’est percevoir les qualités inhérentes aux corps et se représenter leurs formes. La sensation suppose donc trois choses : l’objet extérieur, la faculté de connaître qui est propre à l’âme, enfin l’organe qui joue le rôle de moyen terme entre deux extrêmes, éprouvant une affection passive analogue à celle de l’objet extérieur et transmettant ensuite à l’âme une forme. L’âme ne peut donc sentir qu’avec le concours du corps. Mais, n’eût-elle pu besoin de ce concours, elle ne sentirait pas si elle n’était pas unie à un corps, parce que c’est pour lui seul qu’elle a besoin de connaître les objets extérieurs, et que, livrée à elle-même, elle se bornerait à contempler le monde intelligible.
Il en résulte que le Monde, n’ayant rien hors de lui, n’a rien à percevoir : il ne peut avoir que le sens intime de lui-même. Quant à ses parties, rien n’empêche qu’elles se sentent les unes les autres sans avoir d’organes. C’est ainsi que les âmes des Astres peuvent posséder l’ouïe et la vue ; cependant, elles n’ont pas besoin de ces deux sens pour connaître nos vœux : elles les exaucent par la sympathie qui nous unit à elles. Quant à la Terre, l’Âme qui lui communique la vie doit posséder des espèces de sens sans avoir cependant d’organes : aussi attribue-t-on à la Terre une me et une Intelligence, qui sont désignées sous les noms de Cérès et de Vesta.
3° Appétit irascible. (XXVIII) L’Appétit irascible a pour origine, comme l’Appétit concupiscible, la constitution du corps qui reçoit de l’âme la force vitale appelée nature. Il a pour siège le cœur, tandis que l’Appétit concupiscible a pour siège le foie.
4° Puissance végétative et générative. (XXIX) Quand l’âme quitte le corps, la force vitale qu’elle communiquait au corps abandonne celui-ci et remonte à sa source, comme la lumière remonte à sa source quand le soleil disparaît.
QUATRIÈME QUESTION. Quelle est l’influence exercée par les astres ?
(XXX-XXXI) Les facultés qui ont été précédemment accordées aux astres suffisent pour expliquer l’action qu’ils exercent : car cette action n’est point l’effet de leur volonté ni de leurs propriétés physiques, mais de la constitution générale du monde.
(XXXII-XXXIII) Le Monde est un grand Animal, dont l’Âme universelle pénètre toutes les parties : par son unité, il forme un tout sympathique à lui-même. Si l’être qui pâtit a une nature analogue à la nature de celui qui agit, il éprouve du bien ; dans le cas contraire, du mal. Les dispositions particulières de ces êtres sont d’ailleurs régies par l’ordre universel, comme, dans un chœur, les diverses attitudes de chaque danseur sont déterminées par la figure générale qui règle tous les mouvements particuliers.
(XXXIV-XXXVII) C’est par son corps seulement que l’homme subit l’influence des astres. Cette influence dépend à la fois des figures que ceux-ci forment par leurs mouvements et des choses que représentent ces figures. D’ailleurs, la puissance de produire des figures douées d’une certaine efficacité est commune à tous les êtres; tous, étant des membres du grand Animal, doivent, selon leur nature, produire ou subir une action : car la vie est répandue dans le monde entier sous des formes diverses, et tous les êtres tiennent de l’Âme universelle une puissance plus ou moins occulte, puissance qui se manifeste surtout dans les astres.
(XXXVIII-XXXIX) Les faits dont la production est naturelle ont pour cause la puissance végétative de l’univers. Ceux dont la production est provoquée soit par des prières, soit par des enchantements, doivent être rapportés, non aux astres, mais à la nature particulière de ce qui subit l’action. Si l’influence des astres semble quelquefois nuisible, c’est que les êtres qui y sont soumis ne peuvent point, par leur constitution propre, profiter de ce que cette action a de salutaire. Toutes choses sont d’ailleurs coordonnées dans l’univers : c’est pour cela qu’elles sont les signes les unes des autres. Elles relèvent d’une Raison supérieure aux raisons séminales, et elles concourent à la réalisation de son plan par leurs qualités comme par leurs défauts. En tout cas, les astres ne sont pas responsables des maux qui se produisent ici-bas.
En quoi consiste la puissance de la magie ? — (XL-XLI) Les considérations qui précèdent expliquent la puissance de la Magie. Elle est fondée sur la sympathie qui unit entre elles toutes les parties de l’univers, sur les attractions et les répulsions réciproques que la nature a établies entre les êtres. L’univers ressemble à une lyre, où, dès qu’une corde vibre, les autres vibrent à l’unisson. L’harmonie qui y règne est fondée aussi bien sur l’opposition que sur l’analogie des forces multiples qu’il contient. Si les choses se nuisent les unes aux autres, cela tient à leurs différences essentielles : ce n’est pas le vœu de la nature.
(XLII) Les astres n’exaucent nos prières que fatalement, en vertu des lois qui régissent l’univers. Les âmes des astres sont impassibles, aussi bien que l’Âme universelle: car elles ne sauraient subir d’affection physique et leurs corps sont inaltérables.
(XLII-XLIV) La magie n’a point de prise sur l’âme du sage, mais seulement sur son corps. En effet, l’âme échappe aux influences de la magie quand, par la contemplation, elle se concentre en elle-même. Au contraire, si elle se livre à l’activité physique, elle cède dès lors à l’attrait qu’exercent nécessairement sur elle les autres êtres, elle se laisse séduire par les apparences du beau et du bien.
(XLV) Chaque être, par ses actions et ses passions naturelles, concourt à l’accomplissement de la fin de l’univers. Il donne et il reçoit, il est uni à tout par la sympathie. Placé dans une condition intermédiaire, l’homme peut s’élever par la vertu ou s’abaisser par le vice : par les voies cachées que suit la justice distributive de la Providence divine, il obtient les récompenses ou subit les punitions qui sont nécessaires au bon ordre de l’univers.